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mardi 12 janvier 2010

Lettre UNE


5e jour de la 8e décade du 6e mois de la 77e année de la 3e Ere.










 Bien cher fils.


Tu excuseras cette forme si antique mais là où je vis maintenant il n’est d'autres moyens que celui de l'écriture. Mon exil m'a conduit sur cette planète loin du centre et surtout coupée du reste de l'Empire par cet infernal flux de particules qui brouille quasiment toutes les ondes électromagnétiques. Même les vaisseaux ne disposent que de créneaux de quelques heures entre deux orages de cet astre géant qui nous éclaire pourtant si mal. Ici la lumière n'est pas blanche mais orangée et donne une tonalité étrange de crépuscule aux paysages de cette planète.
Hautmégafine est son nom. Voilà ma nouvelle affectation pour avoir refusé de me plier une fois encore aux désirs des politiciens sur le monde 4 où j'exerçais. Ils se sont débarrassés de moi en me donnant une promotion avec mutation puisque ce poste n'existe qu’ici. Je comprends le refus de celle qui m'accompagnait dans la vie depuis le décès de ta mère. Venir ici a été au-dessus de ses forces. Il faut dire que la réputation d’Hautmégafine est propre à décourager. Ici la technologie n'est que de peu d'aide car les orages magnétiques qui arrivent régulièrement interdisent l'utilisation de beaucoup d’appareils de la vie courante.
J'ai dû refaire des exercices d’écriture pour être capable de t’écrire sur papier, et même comme cela il me faut poser régulièrement le stylo à cause des douleurs que cela me procure dans les mains. Les plus anciens arrivés m'ont assuré que cela s'améliore avec le temps.
Mais je voudrais te raconter mon arrivée qui fut épique. Mon vaisseau de transport avait du retard et il s'est fait prendre dans un des orages magnétiques de Hautmégafine. J'étais dans la cabine avec le pilote. Il faut bien reconnaître que vu le peu de volontaires pour aller sur ce monde, les passagers sont véhiculés avec les vaisseaux de ravitaillement. Déjà qu'en raison des difficultés locales ne sont offerts à cette ligne que de vieux transporteurs rustiques et sans confort, mais en plus un retard dans le créneau horaire fait courir un risque vital. Les orages bloquent tous les systèmes électriques et électroniques malgré les blindages. Heureusement le pilote a fait modifier son vaisseau pour lui adjoindre un système de parachutes à largage manuel. Notre arrivée fut rude mais bien sanglés dans nos sièges, nous ne fûmes pas blessés.
Tu peux imaginer mon étonnement quand, au lieu des machines de transport connues, j’ai vu arriver des bêtes de somme. Le pilote m'avait pourtant prévenu. Nous étions tombés à plus de cents unités standard de l’astroport, heureusement disait-il, pas en forêt, mais dans une zone de cultures. Toi qui connais l'efficacité de nos moyens habituels, je te laisse imaginer ma perplexité quand il m'a expliqué qu'il faudrait plusieurs jours pour que les secours arrivent, et plusieurs mois avant que le vaisseau ne puisse être ramené à l’astroport et remis en état.
Autour de nous de vastes champs couverts d'une plante m'évoquant le blé. Les autochtones sont venus nous porter secours en voyant notre vaisseau. Le pilote ne parle que quelques mots de leur langue et moi pas du tout. Il m'a expliqué que le peuple de cette planète était un peuple toujours en mouvement. Autour de l’astroport, on ne voit, d’une saison sur l'autre, jamais les mêmes personnes. Ce qui fait que personne ne comprend le système d'autorité ou de rapports de force qui régit les Uhoms comme ils s'appellent.
Nous n’avons vu que de jeunes couples avec des petits enfants ce qui m'a étonné. Il ne semble pas y avoir de personnes âgées. Le pilote ne sait rien et son mépris est tel pour tout ce qui ne vole pas qu’il n’essaye pas de savoir.
Cela a mis trois jours à l’équipe de secours pour venir nous chercher. Ils sont arrivés sur de vastes chariots traînés par des bêtes râblées au cou énorme. Avec l’aide de la population locale nous avons déchargé les caisses des soutes, ce qui nous a pris encore trois jours et puis nous sommes partis vers la cité de l’astroport.
Ces bêtes ne s'arrêtent jamais. Elles ne semblent ni se nourrir ni dormir. Elles ne vont pas vite, un marcheur les suit sans problème. Ni les côtes ni la charge ne semblent les ralentir. On les appelle les traîneurs. Chaque famille semble en posséder un ou plusieurs. Ces bêtes semblent savoir ce que l'on attend car personne ne les guide, elles vont là où il faut et s’arrêtent quand il le faut. C'est toujours un mystère m’a expliqué le commandant. Il parle un peu la langue du pays mais ne comprend rien à ce peuple.
Mon arrivée l’a ravi, cela faisait un an qu'il n’y avait plus de médecin sur place. En cas de problème, un guérisseur local venait, avec plus ou moins de bonheur d'après ce que j'ai compris.
Durant ces trois jours de voyage nous avons beaucoup parlé. Le commandant est en place depuis cinq ans. Lui aussi est arrivé pour des raisons d'indiscipline. Il espère pourtant une mutation. La colonie des spatiaux comme on dit ici, n’est forte que d'une centaine de personnes, aucun volontaire dans le groupe mais des gens qu'on a éloignés pour indiscipline ou pour faute.
Mes quartiers sont médiocres. Le plastique et les métaux vieillissent très mal dans cette atmosphère, quand au matériel électrique ou électronique les orages magnétiques en viennent vite à bout. J'habite une maison et oui tu as bien lu, pas de hall de vie ni de préfabriqués confortables, mais des maisons en bois où en ce qui en tient lieu ici. Il faut s’éclairer avec des lampes qui brûlent une huile minérale et se chauffer à l’aide de blocs combustibles que l'on achète sur place. L'eau chaude et l'eau froide nous viennent par des canalisations en bois qui courent du lieu de captage au bas de notre village. Seul l’astroport et le vaisseau restant semblent ne pas se corrompre. Cela est dû à leur structure cristallo-métallique.
Voilà, mon fils aimé, cela fait maintenant bientôt un mois que je suis dans cet exil bien involontairement, me demandant si je n'aurais pas dû laisser mes principes de côté.
Ce n’est pas que le travail ici soit bien difficile, même sans matériel. Les gens sont relativement en bonne santé, mais eux aussi ont le moral au plus bas et beaucoup présentent une toxicomanie à l'herbe à Sniiak. C'est une plante à mi-chemin entre le tabac et l'opium. Les spatiaux ont l'air très sensibles alors que les autochtones semblent ne pas y toucher. Elle provoque une sorte d'euphorie tant qu'on l'utilise mais provoque une dépendance qui explique que les difficultés relationnelles dans la communauté soient parfois difficilement gérables.
Je te laisse et envoie cette lettre en container avec la petite fusée à poudre automatique qui sert pour le courrier.
J'attends de tes nouvelles.
                                     Tendrement.
                                                        Ton père.

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