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lundi 18 janvier 2010

Lettre SEPT



4e jour de la 8e décade du 11e mois de la 80e année de la 3e Ere.





Bien cher fils.

Voilà trois ans qu'aucune nouvelle ne vient de toi ou de la famille. Soit je suis oublié, soit les rouages du pouvoir ont décidé de laisser Hautmégafine en dehors du monde civilisé.
Un nouveau détachement est arrivé avec à sa tête un commandant et un autre médecin, qui n’est que capitaine. Il s'agit d’un groupe constitué. C'est la première fois que cela arrive. Si j'ai bien compris, leur comportement aux combats dans les marges orientales n'a pas plut et ils ont été condamnés à cet exil.
Le commandant est très amer. Il voulait, il rêvait de mourir au combat. Dernier descendant d'une longue lignée de soldats, sans enfant, il désirait une fin glorieuse et n'a trouvé, dit-il « que la médiocrité d'une sous-planète pour finir sa vie ». Il a rapidement pris la dimension des contraintes de Hautmégafine et exige de ses hommes un maintien digne des compagnies d'élite, mais en ajustant ses ordres aux limites de la région.
Le capitaine médecin est spécialisé dans l'aide psychologique aux soldats. Cela fait bien longtemps que je n’avais eu de conversation aussi intéressante. C'est un esprit ouvert, qui ne rejette pas ce qu'il se passe ici. Rapidement il m'a accompagné dans mes promenades locales. Il ne sait rien des Uhoms et semble désireux d'apprendre. Je lui ai passé les livres que j’ai en ma possession, que j'ai bien enrichi de mes connaissances. Grâce à cela, il a pu rapidement parler comme un enfant. Il a donné des conseils judicieux sur l'organisation de la langue, en émettant l'hypothèse que plus le sujet est âgé et plus son vocabulaire et la nuance des mots, des sonorités qu'il emploie, sont grands. Cela pourrait effectivement correspondre avec la réalité de ce que j'ai déjà entendu.
Si cette bonne entente persiste alors peut-être pourrais-je faire ce voyage dans les terres lointaines que je n’osais pas jusqu'à ce jour.
Le reste des arrivants sont des soldats avec leur famille. Hautmégafine est restée exceptionnellement sage en cette saison. Ce qui leur a permis une arrivée et une acclimatation pas trop difficile. La colonie a presque doublé, il a fallu reconstruire des bâtiments pour loger tout le monde. Le sentiment général des nouveaux arrivants est toujours le même. Être contraint du jour au lendemain d'abandonner tout confort et de nombreuses habitudes ne se vit pas facilement. Les femmes et les jeunes se plaignent beaucoup. Il y a vraiment peu de distractions dignes de ce nom sur cette planète, selon le point de vue de nos adolescents. Bien sûr certains ont gardé des télés ou des radios, ne pensant même pas que tout ce qu'on leur avait dit pourrait être vrai. L'arrachement est pour eux d’autant plus grand que le matériel ainsi détruit est irrécupérable.
Je vois encore cette mère pleurant devant son écran la perte de toutes ses photos, de tous ses souvenirs.
Un autre sujet d'arrachement est la prise de conscience de la distance avec le reste de l’univers. Ne plus avoir d’hyper-ondes nous renvoie à des décades de toutes nouvelles, qu'elles soient politiques ou familiales. Cela fait de Hautmégafine une sorte de bulle atemporelle.
J'occupe mes longs moments de solitude en écrivant, en mettant en ordre mes notes et mes idées sur cette planète étrange. Je suis un auteur prolifique puisque j’ai à mon actif au moins huit livres sur l'histoire connue de Hautmégafine, sur l'histoire de la colonie avec tous ces aspects économiques, sociaux politiques et même écologiques, sur la langue et les mœurs des Uhoms.
Par contre je me perds en conjectures sur leur origine. Ils sont humanoïdes et d'après ce que j'ai pu voir semblables aux humains. Je n’ai jamais pu en examiner, ni faire d'analyse ou de test qui nous permettrait de les rattacher à notre branche. Tout le monde sait qu'au cours de la première ère, il y eut de nombreuses colonisations au petit bonheur souvent sans suite, mais parfois réussies, mais sur Hautmégafine ça reste un mystère.
J'ai fait des plans dans ma tête pour un voyage d’études. Partir d'abord à l'Ouest pour chercher le début des migrations, l'origine du départ de ce peuple puis aller à l’Est jusqu'au bout pour comprendre le but. A moins qu'il ne soit plus judicieux d'aller directement à l'Est. Je ne suis plus tout jeune, vouloir tout faire sera peut-être au-dessus de mes forces. Ici il n'y a pas de caisson de régénération. L'expression le poids des ans retrouve toute sa valeur. Je me découvre plus fatigable, plus souffrant qu'il y a quelques années. Les trois traitements auxquels je n'ai pas eu droit me manquent pour me donner la vitalité dont je rêve. Tu vois c’est aussi cela Hautmégafine. Mes cheveux sont maintenant gris et je me voûte. Cela ne se voit pas trop mais je le sens, je peux même mesurer ma perte de taille. Même ici, je ne peux m'empêcher d'essayer de faire de la recherche. Si je n'ai pas de matériel sophistiqué, j'en suis revenu à des indicateurs peut-être moins sensibles mais tout aussi fiables. Dans les annales de la colonie je n’ai trouvé personne qui ait dépassé les 68 ans. L’âge moyen de la mort est de 64 ans quel que soit le sexe. Cela me laisse une dizaine d'années pour espérer faire quelque chose. Je m'imagine ton étonnement à l’énoncé de ces chiffres. Si dans l'Empire l’âge moyen du décès hors guerre, est de 94 ans pour les hommes et 112 ans pour les femmes, il y a dans l'atmosphère et dans la nourriture sur cette planète des substances qui agissent pour diminuer l’espérance de vie.
J'ai pu comparer ces chiffres à ceux d'une base de données sur les mondes spéciaux comme il est dit pour classer un monde comme celui-ci. Ils sont semblables. Si vous perdiez les paramédics automatiques et les traitements régénérant je fais l’hypothèse que vous reviendrez vite dans ces valeurs. Mais l'Empire est l'Empire et éternel est son règne dit le credo politique de nos dirigeants.
Encore quatre mois et nous changeons d’année. Beaucoup espèrent une grâce de l'empereur pour son jubilé et une autre affectation. Voilà 50 ans qu’il règne sur les destinées de l'Empire et jamais il n’a été aussi fort, militairement et économiquement. Seules les marges orientales sont une épine dans son pied. Partout ailleurs l'expansion de nos forces ne connaît pas d'adversaire en mesure de l’arrêter.
Mais nous n’allons pas discuter politique. Ma vision du monde est trop limitée pour valoir quelque chose.
Pour finir une anecdote amusante. J'ai fait une promenade seul avec mon alcent Aïfta. Je le crois intelligent. Partis le matin, il a couru quatre heures pour m’emmener à une cérémonie. C’est la première que je vois. Comme toujours, et sans que je sache comment cela est possible, j’ai été accueilli par mon nom Uhom « Celui qui vient ». Il s’agissait d’un groupe de jeunes Uhoms préparant la cérémonie du choix de l'élection mais je ne suis pas sûr de la traduction. Ils m'ont invité à les suivre. Il y a eu un repas rituel, où chacun fait le même geste pour couper et séparer les aliments, puis nous nous sommes assis torses nus face au soleil. L’un des jeunes est venu corriger ma position. Is, un Uhom plus âgé qui porte le titre de « Celui qui sait » (ce n’est pas un nom de personne comme je le croyais) est passé en chantant une psalmodie tellement compliquée qu’hormis le fait qu'elle parlait de choix d'élection réciproque je n'ai pas compris de quoi il retournait exactement. Il a imposé les mains sur chaque Uhom et même sur moi. J’ai senti une chaleur m'envahir, une idée de bonheur est née en moi. Cela a été à la fois merveilleux et douloureux car je n'avais pas connu cela depuis le décès de ta mère. Enfin il nous a apporté une coupe remplie d’un breuvage qui ressemble au vin et dans lequel il doit y avoir de l’herbe à Sniiak vu le goût. Je me suis senti alors flotter dans une douce euphorie. J’ai rêvé de ta mère, de notre couple, du bonheur de ta naissance, des femmes que j'ai connues et même de jeunes Uhoms.
Quand je me suis réveillé, Aïfta était à mes pieds. Les autres semblaient dormir encore. Nous formions une étoile, nos têtes presque au contact. Je me suis levé avec l’impression d’avoir trop bu la veille. Heureusement qu’Aïfta a le pied sûr et que je n'ai pas besoin de le guider. Je crois même que je me suis endormi sur son dos.
J’aimerais savoir la composition de ce breuvage car pendant trois jours j’ai eu la sensation de flotter.
A un jour peut-être.
                               Tendrement.
                                                   Ton père.


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