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mardi 19 janvier 2010

Lettre HUIT




8e  jour de la 10e décade du 4e  mois de la 80e année de la 3e  Ere.








Bien cher fils.

J'ai mis cette date, mais je ne suis pas sûr. Je ne suis plus sûr de rien d'ailleurs. J’ai franchi un pas tellement décisif que je ne sais pas ce qu'il va en résulter.
Je te parlais dans ma dernière lettre des nouveaux arrivants. Leur espoir était une grâce de l’empereur. Elle n’est malheureusement pas venue. Cela a gâché les pauvres fêtes du changement d’année et de l'ouverture du jubilé de l'empereur.
Le capitaine médecin qui travaille avec moi et le commandant ont adhéré à mon projet de voyage d’exploration et d'études systématiques des ressources de la planète.
Nous avons mis au point un projet ambitieux vu nos moyens. Grâce à la bonne gestion du commandant, les astronefs n’ont pas connu de panne ce qui améliore grandement nos relations avec l’extérieur. Nous ne sommes qu'à une décade de la station orbitale, des nouvelles, du matériel. Bref si tout va bien comme cela, nous allons pouvoir faire une campagne d’analyse et de mesures qui donnera un but à notre colonie. Autre progrès majeur, un des techniciens arrivés dans le dernier contingent a réussi à bricoler un satellite capable de prédire les orages avec douze heures d'avance. Cela nous a donné un confort certain, pour protéger le matériel et si tout va bien le commandant parle même de faire installer des antennes pour la radio voire plus si nous arrivons à bricoler les fibres optiques.
Pour revenir à notre projet, le commandant se chargerait de l’exploration locale et de celle à grande distance c'est-à-dire des satellites avec l’aide du médecin capitaine et des techniciens. Je me chargerais d'une première mission d'exploration lointaine de plusieurs mois pour mieux appréhender la réalité d’Hautmégafine.
Enfin c'était le beau projet du début de l’année pour donner un but à tous ces pauvres gens déçus de ne pas avoir  été graciés.
Au début tout a bien marché. Le plan de développement du projet et de sa réalisation nous a pris tout un mois. Les soldats étaient plutôt contents d'échapper aux exercices militaires dont ils ne voient plus l’intérêt pour se lancer dans une aventure avec un grand A.
Le médecin capitaine a décidé d’apprendre la langue des Uhoms à un certain nombre de façon à pouvoir communiquer plus facilement et à permettre que je puisse partir.
Nous avons aussi préparé mon voyage. J'ai révélé l'existence de mon alcent, mais celui-ci a refusé d'approcher tant que je ne suis pas seul. Il a donc été décidé que je partirais seul avec peu de bagages pour quelques décadences dans un premier temps et au plus pour deux mois. La question de la nourriture a été vite réglée puisque je pense acheter ce dont j'ai besoin.
Je me suis muni de petites pièces de titane qui semblent être celles qui ont le plus de valeur aux yeux des Uhoms. Je suis parti à la fin du deuxième mois.
C’est là que tout s’est compliqué.

Le départ fut simple. J’ai retrouvé Aïfta qui a semblé particulièrement heureux de me voir avec mon sac à dos. Nous somme partis vers l'Ouest comme prévu. Le plan initial prévoyait que je fasse trois jours de route vers l'Ouest puis deux au Nord,  six vers l’Est, deux au Sud et que je rentre. J’avais toute confiance en Aïfta pour réussir un tel parcours.
Ce jour-là, il a couru presque toute la journée mais vers le Nord-Ouest. Chaque fois que je voulais le remettre à l'Ouest, il m’obéissait dans un premier temps pour repartir vers le Nord-Ouest après. Prêt à toutes les découvertes, je l’ai laissé aller là où il voulait.
C'est à l’arrivée que tout a dérapé.
Dans une clairière Aïfta s'est arrêté près d'un groupe d'une vingtaine de personnes, tous jeunes, hommes et femmes ensemble. Ils m’ont fait une ovation. « Celui qui vient arrive » était répété sur tous les tons. Je sentais en eux joie et excitation. Je suis descendu de mon alcent. Ils se sont mis sur deux rangs battant des mains, poussant des cris de joie : « L'élection... L'élection... » Je me suis engagé dans l'allée ainsi formée souriant béatement en me demandant la signification de cet accueil. C’est à ce moment-là que je l’ai vue.
Tu ne peux imaginer le choc que j’ai ressenti. Devant moi, ta mère était là ou plus exactement une jeune Uhom qui ressemblait à ta mère. Je me suis arrêté sur place, sidéré de voir cette ressemblance, sourd à tout ce qui était autour.
La jeune Uhom s’est avancée vers moi, a tendu les mains,  a pris les miennes.
« Aujourd'hui, « Celui qui vient », est le jour du choix de l'élection. Acceptes-tu « Celle qui est là » comme aménijka ?».
J’ai répondu oui dans ma langue mais le sens a été compris car les cris ont redoublés.
Nous nous sommes retrouvés avec une couronne de fleurs et de feuilles sur la tête. On m’a débarrassé de mon sac à dos. On nous a fait asseoir de part et d’autre d'une pierre plate qui sert de table. Syltakan : « Celle qui est là », ne m’a pas lâché les mains. Je ne pouvais détacher mon regard de sa beauté. Quelqu'un a posé une coupe entre nous et un gâteau.
Syltakan a dit :
« Prends de ma main, mange et bois que nous soyons aménijka. Puis de ta main, donne moi que je mange et que je boive que nous soyons aménijka »
Notre échange de nourriture et de boisson s'est passé dans un silence complet. Le groupe autour de nous s'était rassemblé, les hommes derrière moi et les femmes derrière Syltakan. De nouveau ce breuvage au goût si particulier et ce gâteau m’ont plongé dans une torpeur et un sommeil peuplé de rêves étranges.
Je me suis réveillé, nu, couché à côté de Syltakan, nue. Mais sachant des vérités que personne ne m’avait dites. Nous sommes aménijka, ce qui correspond à peu près au terme de fiancée chez nous. Ici cela a une connotation religieuse que nous ne connaissons pas. En fait c’est déjà la première étape du mariage. Syltakan et moi allons vivre ensemble. Pour symboliser la rupture avec le temps d’avant, les fiancés boivent et mangent ce qui les endort. Alors ils sont dévêtus, mis côte à côte et on leur amène un chariot et des affaires qui n'ont jamais été portées.
Je sais qu'elle ne peut encore se donner à moi, ni moi à elle. Cela viendra... En son temps.
Syltakan est belle. Se réveillant à son tour et me voyant penché sur elle, elle m’a embrassé et  est partie s'habiller. Je me suis fait l’effet d’un ours.
Devant nous un traîneur jeune, un chariot habitation neuf, des vêtements. Nous étions seuls dans la clairière, comme au premier matin du monde.
Les jours qui ont suivi m’ont permis de mieux comprendre. Je ne sais comment mais ma connaissance de la langue a progressé. Syltakan et moi pouvons parler dans la langue Uhom presque facilement.
Ce qui m’est arrivé aujourd'hui est en fait mon deuxième niveau d'initiation d’homme. Le premier je l’ai vécu avec le groupe de jeunes hommes, il y  a quelques mois. Pour les Uhoms et pour elle, je suis « Celui qui vient », qui vient pour accomplir une prophétie. Depuis qu’elle est jeune, elle a su qu'elle serait aménijka  avec moi. D'ailleurs, elle a passé plusieurs fois l'initiation des jeunes filles avec l’initiation du choix sans trouver de compagnon. Maintenant que je suis là, elle est persuadée qu'elle atteindra la plénitude.
Nous faisons route vers là-bas, comme elle me dit, lieu du prochain pas. A la vitesse du traîneur, cela va prendre du temps. Nous marchons vers le Nord,  elle m’enseigne tout ce qu'il est bon que je sache sur Hautmégafine.
J’ai confié cette lettre à un Uhom qui doit la porter à l’astroport pour qu’on te la remette.
                             Tendrement.
                                                   Ton père.


Courrier reçu le 5e jour de la 3e décade du 5e mois de la 81e année de la 3e Ere par porteur Uhom et transmis avec le courrier de la colonie. Signé le commandant.

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