8e jour la 6e décade du 12e mois de la 77e année de la 3e Ere
Bien cher fils.
Que la vie est monotone ici sur Hautmégafine.
Je fais de longues marches dans la nature environnante. Je rencontre de jeunes couples avec enfants sur leurs drôles de maisons chariots tirées par un traîneur. Mais jamais je ne rencontre de vieux. Il semblerait qu'on ait à faire à un peuple qui ne vieillit pas ou bien qui cache ses vieux. Dans la région de l’astroport on cultive une sorte de blé sur des milliers d'hectares. Il n’y a pas de machine mais ce peuple les Uhoms a domestiqué de nombreuses espèces qui font le travail comme le feraient nos machines.
Depuis six mois que je suis arrivé, je ne connais pas plus de quelques mots de la langue. On dirait une musique. C'est très joli mais incompréhensible. Quand je m'essaye à parler à dire plus qu'un verbe à l’infinitif comme « marcher » ou « manger » je me fais l’impression d'un violon désaccordé au milieu d'un orchestre symphonique. Pourtant ils m’écoutent et essayent de me communiquer quelque chose que je ne comprends pas. Ce qui rend le contact difficile, c'est que ce peuple est nomade. De mois en mois la population change et je ne rencontre que rarement deux fois les mêmes gens. Je commence à bien connaître la région et j’ai fait un herbier avec toutes les plantes étranges que je rencontre. J’ai fait la demande d’un analyseur pour apprendre ce que je pourrais de toutes ces variétés car je suis sûr que certaines pourraient être très utiles pour soigner, comme l'herbe à Sniiak dont je t'ai déjà parlé. Utilisée en décoctions, ou fumée, elle provoque une dépendance qui ressemble à celle de l'alcool ou du tabac chez nous. Mais les Uhoms doivent en avoir l'usage car j’ai vu les guérisseurs en cueillir, sans que je puisse comprendre à quoi elle leur sert.
J’ai fait aussi la demande d'un synthétiseur-apprentisseur de langues pour pouvoir entrer en contact avec eux. Le commandant ne s’y est pas opposé mais pense que cela ne servira à rien car les orages magnétiques auront tôt fait de me les détruire.
C'est un autre mystère de cette planète que ces orages. Quand le ciel devient gris au lieu de rouge orangé nous savons qu'ils arrivent. Il faut alors absolument éteindre tous les appareils électriques ou électroniques et les cacher à l'abri de l’astroport pour les sauvegarder au mieux. Et même en faisant cela une fois sur deux ils ne fonctionnent plus à la fin de l'orage. Le commandant, et je le comprends, a ainsi réservé toutes les pièces de rechange à l'entretien et à la réparation de l’astroport et des vaisseaux.
Notre réserve de pièces détachées et notre relais avec le reste de l'Empire se trouve sur la station orbitale cachée derrière la lune de la dernière planète du système. Entre l'envoi d'une fusée à poudre de demande de pièces et l’arrivée des containers de dépannage se passent plusieurs mois à moins qu'un vaisseau encore fonctionnel ait pu faire l’aller retour.
La vie s'organise donc sans toutes ces facilités que tu connais bien et auxquelles tu es habitué. J’avoue n’avoir pas eu trop de mal à m’en passer. Tout prend plus de temps que dans un hall de vie mais après tout vu le peu qu'il y a à faire ici, cela m'occupe et m’évite de ruminer de sombres pensées.
Ah ! Les premiers éclairs éclatent, je vais m'interrompre un moment.
Le même jour, le soir.
L'orage s’est tu. Le silence fait du bien. Après que le ciel devienne gris, arrivent des nuages filandreux qui occupent le ciel. Le physicien de la base m'a parlé de particules cosmiques à l'origine de ces phénomènes un peu comme les aurores boréales sur la planète Terre Origine. De chez moi, je ne vois plus qu’eux à perte de vue. La lumière baisse encore au point qu'il faut allumer les lampes et puis commencent les éclairs. Je n'en avais jamais vu de pareils. Ils traversent tout le ciel, ne semblant diminuer que pour mieux reprendre force. Un éclair peut ainsi durer plusieurs minutes, et comme souvent il y en a plusieurs ensemble je te laisse imaginer le spectacle. Avec eux, il y a le tonnerre. Immense déflagration qui t’assourdit. La première fois que je l’ai entendu, cela m'a rappelé les champs de bataille de Salagar, quand les millions de lasers crépitaient ensemble, et que hurlaient les avions de combat.
Puis comme si l’aube arrivait la lumière revient doucement. Les éclairs se calment et cessent. La vie reprend son cours pour une heure, un jour ou un mois. Nul ne le sait, nous n'avons jamais pu le prévoir.
Tu vois, mon bien cher fils, je deviens comme ces vieillards dans les contes de ta jeunesse qui attendaient la mort en s'occupant à de petites choses.
En un an, pas un coup de téléphone, pas une émission de télé. Il n'y a ici ni l'un ni l'autre. Le seul véhicule qui marche un peu est un engin animé par un moteur diesel que l'on démarre à la manivelle. Le commandant le garde sous bulle d'azote pour éviter la corrosion. Il ne l’utilise que pour les urgences. La dernière remonte à deux mois. Bill, un de nos ravitailleurs, s'est cassé la jambe en tombant du chariot d’un traîneur à trois jours de route de l’astroport. Heureusement l'autre ravitailleur a pu nous prévenir par un messager monté sur une bête rapide, un alcent. Malgré le diesel nous avons failli avoir un mort. Soigner une fracture ouverte sans un paramédic automatique et sans pouvoir transfuser n'a pas été une mince affaire. Mon goût pour l'étude des vieilles techniques médicales m'a bien servi. Il est maintenant hors de danger mais ne pourra pas marcher avant encore trois mois. En écrivant cela je sens presque ton étonnement. Avec les paramédics automatiques qui réparent cela en 48 heures, nous avons oublié combien est longue la cicatrisation d'un os.
Je sais que tu ne peux pas écrire une lettre comme je le fais mais demande que ton message soit imprimé à la station orbitale. C'est ainsi que les autres reçoivent des nouvelles de chez eux. Essaye de ne pas m’oublier.
Tendrement
Ton père
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