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jeudi 14 janvier 2010

Lettre TROIS


10e jour de la 10e décade du 6e mois de la 78e année de la 3e Ere.



 



Bien cher fils.

Je suis toujours sans nouvelles de toi. Bien sûr les dépêches m’ont appris tes hauts faits dans le conflit des marges orientales de la galaxie et la récompense que tu as eue. Cela fait maintenant un an d’exil sans nouvelles de toi et de ceux qui me sont chers.
Ici rien ne va plus. Nous avons eu un meurtre. Le vieil Oscar d'habitude si tranquille a tué Bill, un de nos ravitailleurs qui avait eu la jambe cassée. Le commandant a essayé de comprendre ce qu’il s'était passé. Mais Oscar reste confus. Il semblerait que Bill ait volé de l'herbe à Sniiak et que Oscar ait fait une crise de manque au point de tuer. Tu connais les règlements, la condamnation est la mort. Mais comme ici nous ne disposons pas de bourreau, le commandant ne sait pas quoi faire. En attendant Oscar est enfermé dans une maison transformée en prison. L’émoi est grand dans la colonie et nul ne sait ce que cela va entraîner.
En fouillant ses affaires, le commandant a trouvé les papiers de l'ancien médecin qui avait disparu un jour dans la nature. Connaissant mon goût pour les choses anciennes et pour la langue des Uhoms (que je ne parle toujours pas) il m'a amené ce qui me semble être une grammaire et un vocabulaire. Peut-être vais-je enfin faire des progrès ! Il y a aussi d'autres écrits qui sont incompréhensibles au premier abord. Je vais aussi essayer de les déchiffrer.
Curieuse histoire que cette disparition. Un matin, il n'était plus chez lui. Personne ne l’a vu partir. La plupart de ses affaires sont restées sur place mais ses livres et ses écrits avaient disparu. Et voilà que plus d'un an après, le commandant les découvre chez Oscar. Mais celui-ci ne peut ou ne veut pas s'expliquer sur leur présence chez lui. Aurait-il tué le médecin, ou celui-ci est-il parti à l'aventure sur Hautmégafine ?
En écoutant les commentaires et les confidences des uns et des autres, je pencherais pour la deuxième hypothèse. Il y a déjà eu des disparitions du même type dans le village au cours de ces dernières années. Personne n'en parle ouvertement mais en regardant les dossiers médicaux jamais ouverts, j'arrive à au moins dix personnes en dix ans. Encore un mystère de cette planète.
Lors de mon dernier courrier, je t'ai dit que j'espérais un synthétiseur-apprentisseur pour la langue. Il est arrivé mais n’a jamais pu fonctionner. Je reporte mes espoirs sur les écrits de mon prédécesseur. Par contre l'analyseur de plantes est en marche. Simple et robuste, équipé d'un bouclier cristallo-métallique il semble insensible aux orages et me rend bien des services.
J'ai commencé à cataloguer les plantes que j’ai cueillies et à mettre au point une classification. Bien sûr j'ai débuté mes analyses par l’herbe à Sniiak. Elle contient des alcaloïdes, des alcools, des nicotiniques et quelques molécules curieuses qu'il faudra que je prenne le temps d'extraire pour comprendre leur action. On dirait des substances du système nerveux central, pourtant elles n'ont pas la structure des amphétamines. Tu vois, j’essaye quand même de me rendre utile.
Il y a un mois pour la première fois depuis mon arrivée, lors d'une de mes promenades, j’ai croisé un homme d'âge mûr. Il était seul, monté sur un rapide Alcent. Il s'est arrêté, m'a regardé. Je lui ai dit bonjour dans sa langue du mieux que je pouvais. Autant d'habitude cela fait rire mon interlocuteur, autant il est resté de marbre. Il a répondu fort sérieusement et si le premier mot a été bonjour la suite m’a complètement échappé. Je pensais connaître la musicalité de cette langue. Chaque fois que je peux, j’essaye de les faire parler et les jeunes enfants sont bavards. J’ai maintenant dans l'oreille des habitudes de sonorités. J’arrive à isoler quelques mots. Mais avec cet Uhom, j'étais perdu. Je t’ai déjà parlé de la grande musicalité de leur langage parlé. Quand j'écoute des enfants, je trouve cela compliqué, mais il y a autant de différence entre eux et lui qu’entre un pipeau et un orchestre symphonique. Il m’a parlé cinq minutes sans s'arrêter, mes oreilles ont été ravies. A cette véritable musique, il m'a été impossible de ne pas associer des images de calme champêtre, d'espace, de joie. Par contre je n’ai aucune idée du sens de ce qu’il m'a dit. J'ai répondu en ahanant que je n'avais pas compris. Il a tourné bride et est parti au trot rapide de sa bête.
Il devait pourtant y avoir quelque chose d'important car maintenant les jeunes couples que je rencontre semblent me marquer plus de déférence qu'avant.
Notre physicien a eu, lui aussi, de la chance car il a reçu quelques ustensiles de mesure qu'il protège comme la prunelle de ses yeux. Son service de rattachement lui a expédié tout cela avec des livres,  emballés dans des pièces de cristallo-métal. Il s'est lancé dans une campagne de mesures. Grâce à cela il a repoussé sa dépression. Il faut reconnaître qu'il n'avait pas eu beaucoup de chance jusque là. Pauvre étudiant sans appui, il n’a réussi qu’à la force de son intelligence et de son travail. Cela n'a pas suffi à lui obtenir un poste convenable. C’est jeune marié qu’il s’est retrouvé sur Hautmégafine. Voilà bientôt cinq ans qu’ils sont là, ils se désespèrent de ne pas avoir d'enfants. Je crains que le climat, ou l'air ou la nourriture sur Hautmégafine soit antigestationnel car aucun dossier de femme ne contient de grossesse. Ils mettent une fois de plus, leurs espoirs dans le travail. En espérant qu'avec une découverte intéressante, ils pourront rentrer sur un monde plus accueillant. En attendant, maintenant qu'ils ont des instruments de mesure, ils ont retrouvé un goût de vivre que je ne leur avais jamais connu.
Une autre particularité de cette planète qui tue les composants électroniques, est la monnaie. Ici elle est en pièces sonnantes et trébuchantes comme disent les contes, uniquement en métaux non oxydables. Nulle carte de crédit, le marchand de la colonie tient lieu de banquier en notant tout sur des carnets. C’est lui qui s’occupe de trouver et de négocier le ravitaillement local. Par contre c’est l’armée donc le commandant qui contrôle les marchandises qui arrivent de l'espace.
Comme tu le vois nous ne sommes vraiment pas grand-chose sur cette planète vaste comme dix fois la Terre. Aucun appareil de sondage n’a vécu assez longtemps pour dire si le sous-sol avait un intérêt. La difficulté des échanges d'aéronef, tue dans l’œuf toute transaction régulière. Lors de mes moments de cafard, je me pose la question de savoir pourquoi l'Empire maintient ici une colonie.
Quand le blues dure trop, je me prends une inhalation d'un mélange de ma composition : herbe à Sniiak (très peu),  borddu (une sort de pissenlit), figtu (ça ressemble à des mûres). Je mets le tout dans de l’eau très chaude et j’inhale les vapeurs. Cela me rend euphorique pendant deux ou trois jours sans me rendre dépendant je te rassure. Je note ma consommation pour vérifier que je n’en abuse pas.
La fusée va bientôt partir.
Si tout va bien tu auras ce courrier d'ici quelques mois, avec le retour, ta réponse peut être là avant la fin de l'année.
Ne m'oublie pas.
                         Tendrement.
                                              Ton père.


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