Scène six
Nous volions dans un océan de débris. Les combats avaient duré, duré. La fatigue m'emplissait. Je sentais les blessures du chasseur comme miennes. Je sentais l'épuisement des réservoirs. Je sentais la difficulté à régénérer mon oxygène. Ma parole était onde électromagnétique. Mes yeux, mon toucher étaient capteurs. J'appelais Ktanm
- Ktanm, ici Right
- Je t'écoute Right.
- Comment tu te sens. Tu es presque rouge.
- Comme toi, Right, comme toi.
- Mes jauges me donnent dix heures. Avec un moteur, je peux peut être atteindre la troisième planète. Il te reste combien ?
- Assez pour y arriver.
Je n’insistais pas. Trop de fatigue et la certitude qu’elle ne me le dirait pas même si elle était à deux doigts de mourir.
- Tu sais où sont les frères Silu ?
- Non, Right. Je les ai perdus quand nous sommes arrivés près de la quatrième planète, lors de la bataille avec les bombardiers et leur escorte.
Mes souvenirs n’étaient pas trop précis. Normalement, tout était enregistré. Je pourrais revoir cela mais pas maintenant, au débriefing. Nous avions compris qu’une attaque de grande envergure se déroulait quand après avoir mis en déroute les chasseurs-bombardiers, nous avions découvert les escadrilles qui filaient vers le centre du système d’Endoor. Un nouveau TET s’était ouvert. Nous ne le connaissions pas mais eux l’avaient manifestement trouvé. Fort de notre tactique toute neuve, nous avions défendu le système intérieur. Passant de TET en TET, virant parfois à l’intérieur, nos F54b avaient été sur tous les fronts. Combien restions-nous ?
Je n’avais plus assez de puissance pour contacter et répertorier tout le monde. L’ennemi était reparti. Derrière lui, il laissait des décombres par milliers. Nous lui avions fait payer aussi cher que possible son intrusion dans le système d’Endoor, mais les grandes bases ne répondaient plus, la lune Alpha non plus. Sur la troisième planète, nous avions eu une réponse d’une petite base de maintenance. C’est vers elle que nous nous dirigions.
Le temps s’écoulait lentement. Pour économiser le carburant, nous volions sans accélérer. J’avais coupé tout ce qui n’était pas nécessaire. Je m’étais mis en économie de niveau un. Tout ce qui était à longue portée était éteint. Il me restait tous mes sens à court rayon d’action. C’est ainsi que je découvris un FK12 rouge sombre sur bâbord. Le pilote devait être encore vivant. Il courait sur son erre. Nous ne pouvions rien pour lui. Normalement après les combats, des nettoyeurs parcouraient le champ de bataille pour récupérer machines et pilotes. Aujourd’hui rien de cela. J’avais l’impression d’une fin du monde. Ma respiration difficile me laissait imaginer son agonie dans son cockpit. Etait-il encore conscient ?
- Ktanm, ici Right.
- Je t’écoute Right !
- Tu as vu le FK12.
- Non Right, je suis en écodeux. Je vais même passer en trois.
Une sueur glacée me courut dans le dos. Ecotrois voulait dire qu’elle ne garderait que le strict nécessaire à sa survie. Après, il ne lui restait que la mise en suspension. Toutes les fonctions vitales seraient suspendues dans une bulle d’espace temps. On retrouvait parfois un pilote comme cela perdu depuis des années, son vaisseau dérivant. La réanimation n’était jamais automatique.
- Je passe devant toi et je me mets en écodeux.
- OK, Right, Merci. Je passe en écotr…
La communication s’arrêta brutalement. Je fis la manœuvre qui me plaça devant elle. Je ne gardais que mes boucliers avant, mes radars avant. J’eus l’impression de rentrer dans un tunnel. Je fis une dérogation à l’écodeux, je rebranchais à minima le radar arrière pour voir le F54b de Ktanm. Nous étions parfaitement axés. Dans cinq ou six heures nous serions arrivés. A moins qu’un météorite nous frappe en choc latéral. Nous prenions le risque. Nous n’avions pas le choix.
Le temps sembla s’éterniser. Je voyais arriver des échos que le bouclier repoussait. Ktanm suivait. L’épuisement me gagnait. Mes jauges étaient dans le rouge. Mon oxygène était descendu à dix-huit pour cent. Je ne bougeais plus. Seul mon cerveau travaillait. Je m’interrogeais sur les évènements qui venaient de se passer. J’en arrivais à la conclusion que nos ennemis avaient eu accès à des plans du système d’Endoor. Ils avaient trouvé un TET que nous ne connaissions pas. A moins qu’ils aient profité d’un nouveau TET. Ils devaient savoir que l’Empire préparait une nouvelle offensive et que de nombreuses troupes seraient massées ici en attendant le jour J. La puissance de leur attaque en disait long sur leur détermination. Je m’interrogeais sur ce que l’Empereur allait dire. Puis mes pensées allaient vers Ktanm, toujours visible sur l’écran arrière. J’essayais de me remémorer les combats et ce que je savais des frères Silu ou des autres. Je n’osais interroger mes ordinateurs tous en veille. J’étais trop juste en puissance. Je passais par des phases de désespérance. Le temps ne passait pas assez vite et mes jauges flirtaient avec le zéro. Puis je me reprenais. J’essayais de me décontracter. La distance qui nous séparait de la troisième diminuait. Je me parlais.
- Plus que trois heures et quelques avant de se poser, allez, mon petit vieux, ça va se faire !
Par moment, je somnolais. A mes réveils, je trouvais que cela n’allait pas assez vite. Mon oxygène diminuait encore. Je fermais les yeux quelques instants.
Biiip......biiip......biiip......biiip......biiip......biiip......biiip
J’ouvrais les yeux brutalement. Devant moi, la troisième planète grossissait. Je désactivais l’alarme. Je fis le tour des instruments. Mes jauges étaient toutes à moins de un pour cent. Tout allait se jouer sur leur précision. L’ordinateur me donnait juste assez de temps pour me poser car la troisième planète possédait une atmosphère qui bien qu’assez ténue, allait nous freiner. Il fallait maintenant que Ktanm reprenne sa machine en main. Nous ne pouvions pas nous suivre dans ses phases d’atterrissage. Je coupais mon écran arrière dès que je vis qu’elle s’était écartée de mon axe. Je ne pouvais rien faire de plus pour elle.
- A tout à l’heure en bas, Ktanm !
Je ne savais pas si elle m’entendait. Je savais qu’elle ne me répondrait pas. Je me concentrais sur le pilotage. Le bouclier avant se mit à chauffer. Immédiatement, les convertisseurs se mirent en marche. Je ressentis tout de suite le retour de la puissance énergétique. Le taux d’oxygène reprit sa valeur normale. Les jauges frémissaient. Si l’ordinateur avait bien calculé, l’énergie récupérée dans la rentrée atmosphérique, serait juste suffisante pour que je puisse me poser. J’espérais qu’il en était de même pour ma coéquipière.
Nous avions trois révolutions à faire en très haute altitude avant d’avoir perdu assez de vitesse pour plonger dans l’atmosphère. Je ne savais rien de cette planète. Je n’avais même pas assez d’énergie pour brancher mes caméras. Mon tachymètre indiquait que le freinage se passait bien. L’altimètre se cala sur la fréquence de la base juste avant que nous plongions. Il me restait une heure de vol atmosphérique et ce serait fini. Je ne savais pas où en était Ktanm. Elle m’avait sauvé la vie plusieurs fois et je ne pouvais rien pour elle. Cette impuissance était douloureuse.
- Ting !
Le signal sonore de verrouillage me ramena au présent. Mon chasseur avait détecté la balise finale. Je regardais les jauges. L’ordinateur avait raison, j’avais juste assez pour activer mon champ de sécurité d’atterrissage. Tout se passa comme à l’entraînement. Je glissais sur le champ de force et je me positionnais le plus loin possible pour laisser la place à Ktanm. IL restait de l’énergie. Je branchais mes caméras extérieures. L’image se stabilisa juste à temps pour voir le chasseur de Ktanm arriver en approche. Comme toujours, c’était parfait. La machine se posa en douceur glissa sur son champ d’atterrissage et …tout bascula.
Sous mes yeux horrifiés, je vis le chasseur toucher violemment le sol. Le frottement du métal sur le tarmac fit une gerbe d’étincelle. Elle allait droit vers le bout de la piste. Je voyais le sol très inégal autour de la base. Je pensais au pire. Je perdis la vue. J’étais bloqué dans mon chasseur sans énergie. Mes yeux écrans éteints ne m’étaient plus d’aucune utilité. Je tapais sur le bouton d’éjection rapide. Le sas s’ouvrit. Mon siège glissa sur ses rails vers la sortie. La lumière éblouit mes yeux physiques. Je tombais dans les bras des techniciens venus me récupérer. Je hurlai :
- L’autre chasseur !
- Il s’est arrêté, lieutenant. On essaye de sortir le pilote.
- Emmenez-moi là-bas.
- Oui, Lieutenant.
Ils me hissèrent plus que je montais dans le véhicule. Je bouillais d’impatience. Nous approchâmes du F54b. Une chaleur intense s’en dégageait encore. Les techniciens s’affairaient déjà sur le sas du cockpit. Malheureusement la porte résistait. Le temps passait sans que le sas ne s’ouvre. Je craignais de plus en plus pour Ktanm. Elle allait manquer d’oxygène. Sous la traction des vérins, la porte céda. Il y eut le chuintement d’air caractéristique d’une mise en équipression. Le technicien mit en route manuellement l’éjection du pilote. Je vis arriver le siège. Quand je vis Ktanm, je compris. Elle avait cessé de vivre.
Heureusement un technicien me soutenait. J’étais effondré. Elle avait réussi une dernière fois à ramener son vaisseau entier. Une console de secours fut branchée. Les instruments de bord se rallumèrent.
- Mais c’est impossible !...
La voix du technicien me toucha à peine.
- Regardez ! C’est impossible !
Tous nos regards convergèrent vers la console.
- Parle, Tenkiu. Qu’est-ce qui est impossible ?
- Elle n’a pas pu atterrir.
- Ne dis pas n’importe quoi, Tenkiu.
- Je ne dis pas n’importe quoi, chef ! Les enregistreurs sont formels. Son cœur a cessé de battre voici quatre heures.
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