Membres

jeudi 15 juillet 2010

Sixième épisode

Troisième scène

Le système 7.8 comptait quatorze planètes. Toutes habitées ou occupées. Sur les trois planètes de MO1, les forces impériales arrivaient tous les jours en prévision de l'attaque. Nous commencions à manquer de place. Les rapports se tendaient entre les différentes unités. Je laissais faire. Des troupes en colère sont plus efficaces. Nous en aurions besoin. Le TET choisi pour envahir le système arrivait près de la cinquième planète. Ce n’était pas la plus grande. Elle avait par contre une position clé dans la défense de l’ensemble. Les croiseurs lourds entreraient les premiers en action pour pilonner les défenses. Juste derrière, les porteurs de troupes et la chasse aérienne descendraient sur les cibles fixées. La population sur cette planète était concentrée sur un continent assez étroit. Le reste était un océan qui servait essentiellement de champ de récolte d’énergie. On y produisait les capsules énergétiques indispensables à la bonne marche d’une multitude d’appareils de la vie courante. En prendre le contrôle bloquerait presque cinquante pour cent de la production des capsules margiennes. L’autre planète importante était la huitième. Couverte d’usines, elle était le plus grand centre industriel des Marges Orientales. Les autres planètes étaient soit agricoles soit militaires. La bataille serait rude. De nombreuses troupes étaient stationnées dans le 7.8. Notre seul atout maître était notre supériorité dans l’espace. Les nouveaux chasseurs que nous avions vus avec Ktanm, représentaient, pour moi, une menace sérieuse pour notre hégémonie. Les analystes étaient arrivés à la conclusion que ces chasseurs n’étaient produits que pour me combattre. Il fut décidé d’envoyer plusieurs faux Tiakakner pour brouiller les pistes et attirer les chasseurs loin du 7.8. L’interception de leurs communications, nous avait appris qu’ils faisaient évacuer le système de Fenwou que nous appelions le 8.4. Nous l’avions évoqué comme cible. Plus facile d’accès que le 7.8, moins peuplé, moins bien défendu, le 8.4 nous aurait fourni une nouvelle victoire. Par contre, nous aurions été très loin du centre et de Shalimb, la capitale des Marges Orientales. L’empereur voulait aller vite. Si la conquête du 8.4 était logique, elle nous imposait une conquête faite de petits pas et de longueurs. Nous ne pouvions pas.
Je donnais l’ordre du départ avant que nos troupes s’entretuent. Dans six heures, les premières vagues d’assaut débarqueraient. Je ne suivais pas immédiatement. Les faux Tiakakner étaient aussi en route. Mes meutes de F55 seraient en éclaireurs. Leur rôle était de nettoyer l’espace pour faciliter le débarquement. Je surveillais l’ordre d’entrée dans le TET. Nous avions prévu plusieurs vagues. La deuxième entrait dans le TET quand les premiers retours m’arrivèrent. Les combats étaient acharnés. Contrairement à nos prévisions, le système 7.8 nous attendait de pied ferme. Le débarquement se passait mal. Les analystes s’étaient basés sur la destruction d’un vaisseau sur deux. Nous étions à quatre sur cinq. La tête de pont n’était pas sûre. Les croiseurs avaient fort à faire avec les corvettes ennemies. Nos lasers marchaient mal. Ils avaient contourné la difficulté de la peinture avec un champ de protection qui maintenait le colorant à distance de la coque. Par contre leurs missiles à fission avaient eu raison de deux de nos croiseurs. Je fis partir les croiseurs de renfort plus tôt. Ces six heures de combat restaient indécises. Nous allions nous installer dans la durée. Cela me semblait évident que le vainqueur serait celui qui pourrait amener le plus de forces sur place. En nombre l’armée des Marges Orientales comportait autant d’effectif que la nôtre. Mais elle devait rester répartie dans les différents lieux, alors que nous pouvions consacrer toutes nos forces sur un système.
Un message alarmant arriva sur les consoles. Les renforts ennemis arrivaient. Ils arrivaient plus vite que les nôtres. Nous allions nous faire déborder. Contre l’avis des analystes, je décidais d’aller voir.
- Vous ne pouvez pas, Général. Le TET est déjà en surcharge.
- Je sais, Général Chewnim. Je passerais par ailleurs.
- Mais vous n’allez pas abandonner votre poste !
- Non, je reste en communication avec vous. Mais les nôtres se font massacrer. Je ne peux pas rester les bras croisés à donner des ordres. Il faut que je voie ce qui se passe.
Tout le reste de la discussion tourna autour de cela. L’état major ne voulait pas que j’aille sur le terrain, trop dangereux, trop aléatoire. Dans le Ktanmor, je ne sentais pas le champ de bataille. Cela me rendait incapable de prendre une décision valable à mes yeux.
Ktanm se libéra du Ktanmor sous les imprécations et les menaces à peine voilées des généraux d’en appeler à l’Empereur.
- Tu as le don de les énerver !
- Eux aussi m’énervent, Ktanm. Je suis un chasseur pas un homme de bureau.
- Tu es général en chef de cette armée, Right. Ils ne peuvent pas comprendre ta position.
- Je ne peux pas être ce que je ne suis pas. Il faut que je sois là-bas.
Ktanm avait prévu un itinéraire complexe avec plusieurs sauts entre TET qui nous ferait gagner du temps par rapport au chemin normal. Cela nous donnerait aussi l’avantage de déboucher dans le système 7.8 ailleurs que près des combats
Les deux heures qui suivirent furent denses. Les sauts entre TET étaient des manœuvres complexes. Nous changions d’espace et de temps.
- Dernier saut, Right ! Nous arrivons.
Notre matérialisation se fit à distance du lieu de la bataille. Devant mes yeux-radars la situation était catastrophique. Les transports de troupes éventrés, les croiseurs en pièces, les escorteurs divers mis à mal, seuls les chasseurs semblaient s’en sortir à peu près. Sur la cinquième planète, la tête de pont se faisait pilonner. Sur la radio, le commandement de la force sur place demandait des renforts. Les champs de force qu’ils avaient déployés ne suffiraient pas. A la sortie du TET venant de 1MO, les chasseurs-bombardiers margiens larguaient des missiles à fission qui détruisaient tout ce qui se matérialisait, ou presque. Le peu de vaisseaux qui échappaient se trouvaient face à des forces supérieures en nombre et en armement.
- Tu vois Ktanm, ou ils avaient deviné, ou on les a prévenus de notre attaque. Il faut prévenir  qu’ils arrêtent d’envoyer des renforts.
- Oui, mais cela veut dire signaler notre présence.
En moi, j’avais l’odeur de la mort. Je me mis à réfléchir à la manière d’intervenir. L’adrénaline coula dans mes veines. Au fond de moi, je sentis le réveil de la rage intérieure. Attirée par l’odeur de la mort, désireuse d’y participer, elle prenait place dans mon être. Mes perceptions s’amplifièrent. La voix de Ktanm devint lointaine.
- J’ai envoyé le message, Right. Il y a déjà des chasseurs qui viennent vers nous.
Elle n’avait pas fini de parler que je prenais les commandes. J’eus vaguement conscience que Ktanm disait :
- Mais qu’est-ce que tu fais, Right ?
C’était trop tard. J’étais devenu … Je ne savais pas mais immense. Je sentais chaque être, chaque force qu’elle soit physique, biologique. Le temps se mit à ralentir, à moins que ce soit moi qui aie accéléré. Mon chasseur fit un bon en avant. J’entendis les pensées des pilotes des chasseurs-bombardiers margiens. « Tiakakner ! » Ce fut leur dernière pensée. La disrupteur les disloqua.
J’étais la rage, la fureur, l’implacable tueur se nourrissant de la peur de tous ces êtres. Je contrôlais le disrupteur qui m’ouvrait des CET. Grâce à eux, j’étais maître de l’espace et du temps. Mon esprit conçut le signe de la mort du système 7.8.  C’était une danse complexe dans l’espace du système planétaire. Elle tracerait dans la trame même de l’espace temps l’idéogramme antique de la mort. Alors toute vie y cesserait.
Je me mis à l’œuvre. Enfermé dans mon CET, je déchirais la trame de l’univers. J’écrivais avec une encre de néant la fin de millions d’êtres vivants. L’exaltation me gagnait. Cet idéographe serait un chef d’œuvre.
J’entendis la plainte monter. L’univers souffrait. J’introduisais la mort dans sa trame. Quand je mis la dernière touche à la dernière volte, une immense clameur retentit et stoppa net.
J’émergeais du CET. Sur mes yeux écrans, il n’y avait plus que débris et mort. J’étais vainqueur. VAINQUEUR !
- Right ! Right !
- Ktanm ?
- Qu’as-tu fait Right ?
- J’ai vaincu.
- Mais ils sont tous morts, les nôtres comme les autres.
- C’est le prix à payer, Ktanm. L’empereur a sa victoire. Les margiens ne se relèveront pas de ça.
Un croiseur margien émergea d’un TET. Il n’avait pas fini de se matérialiser que la clameur de leur mort retentit. Un de nos transports de troupe subit le même sort.
- Il faut arrêter cela Right ! C’est une horreur !
- On n’arrête pas un idéographe tracé dans la trame du monde. Regarde, il est beau.
Je projetais sur nos écrans communs, une reproduction de ce que j’avais fait. J’en trouvais la forme belle, glacée, glaçante, mais belle. Ktanm ne semblait pas comprendre. L’idéographe de la mort ne pouvait s’effacer. Tout ce qui pénétrerait dans ce système devait mourir. C’était l’ordre contenu dans la substance de l’espace temps local. Ni bactérie, ni humain ne pourraient survivre. Tous les vaisseaux qui arrivaient en renfort, devenaient une tombe volante. Sur les planètes, tout était redevenu minéral. Ktanm était protégée par son existence électronique. Seul, je survivais. Je me nourrissais de cette force. J’étais cette force. J’étais Tiakakner, l’antique ange-dieu de la mort.

1 commentaire:

  1. "Le temps de lire, comme le temps d'aimer, dilate le temps de vivre." Daniel Pennac

    Les sens de Right sont en effervescence...
    Etre-ange...

    RépondreSupprimer