Sixième scène (2° partie)
La sortie du TET fut catastrophique pour ma flottille mais pas pour moi. Malgré la mise en formation, le flux de rayonnement était tel que quelques transports de troupes se vidèrent de leurs vies. Je sentais la fin de chaque être au fur et à mesure que nous approchions de la base cachée derrière la dernière lune de la dernière planète. C'en était nourrissant.
Notre atterrissage laissa deux autres unités au tapis. Il y avait des dégâts sur tous les appareils sauf sur le mien.
- C’est toujours comme cela ?
- Non, général Right. Parfois c’est pire.
Le commandant de la base n’autorisait aucun espoir. Il aurait préféré savoir notre arrivée pour éviter ce genre d’ennuis. Il pouvait avoir les prévisions des rayonnements avec trois jours d’avance. Cela suffisait d’habitude pour les ravitailleurs qui passaient par un TET plus court, venant de S246. Le TET que nous avions employé, bien que plus rapide, ne permettait aucune échappatoire.
J’étais perplexe. Jamais nous ne pourrions attaquer la planète avec un tel environnement.
- Comment faites-vous pour les liaisons avec Hautmégafine ?
- Nous utilisons des fusées à carburant solide ou liquide équipées d’écrans cristallo-métalliques renforcés et nous choisissons nos fenêtres de tir.
- Cela fait combien de rotations par jour ?
- En fait, ici, mon général, on ne compte pas en jour mais en décades. Quand on arrive à une rotation par décade, c’est que l’étoile est calme. Nous sommes plus proches de une rotation toutes les deux décades.
- Si je comprends bien, nous sommes bloqués ici.
- C’est un peu cela, mon général. Hautmégafine sert surtout d’impasse. Ceux qui sont ici ne rêvent que de repartir. Il n’y a même pas assez de ressources pour nous. Nous devons importer nos approvisionnements de S246. J’ai d’ailleurs pris la liberté d’envoyer des convoyeurs de secours pour récupérer vos transports de troupes détruits.
- Il est de tradition de laisser les vaisseaux des morts voyager dans des cas comme celui-ci.
- Je sais, général, mais nous manquons souvent et de pièces de rechange et d’approvisionnements. Ces épaves en sont pleines. J’ai prévu une cérémonie pour leurs funérailles.
Je ne répondis rien. Le commandant de la base me regarda partir vers mes appartements sans intervenir. J’avais besoin de me retrouver seul pour faire le point. Il fallait que je revoie tous les plans que j’avais échafaudés. Ici, il n’y avait pas de chaîne de satellites, pas de sondes, pas de cartographie précise, aucun de ces éléments dont nous nous servions régulièrement. Je comprenais mieux la stratégie de l’empereur. Envoyer une armée traditionnelle était un non sens. Elle n’aurait jamais le temps de se déployer avant que les radiations ne détruisent les vaisseaux. Il me faudrait évaluer les forces qui me restaient, et puis avoir des connaissances sur l’environnement. Je me laissais aller sur mon lit. J’avoue que le découragement me remplissait. J’en étais à me demander ce que j’étais venu faire dans cette galère. Le sommeil me prit dans cet état d’esprit.
Ce fut ma partie ange-dieu qui me réveilla. Nous étions au milieu du temps de repos. Mon F55 n’avait rien. Autant l’utiliser pour faire une reconnaissance. Je traversais les couloirs et les salles désertes. Je n’y voyais que laisser aller et mauvais entretien. J’avais verrouillé mon chasseur avant de partir. Je les soupçonnais d’être capable de tout, y compris de démonter ma machine.
Aucune garde, aucun veilleur ne vint me contrôler.
Sur ce système de bout de monde, attendre ne servait à rien. J’en avais l’intime conviction. Autant en finir tout de suite. Mon décollage se passa dans une indifférence totale. Je ne sais même pas si quelqu’un le remarqua. Je fis donner toute leur puissance à mes moteurs. Le flux de particules m’entoura dès que je fus sorti de l’ombre de la lune. Il y eut une interruption quand je passai à derrière la planète. J’analysais mes détecteurs. A longue distance, le courant ne faisait qu’augmenter. A moyenne distance, tous les indicateurs étaient au rouge. Tout cela était incohérent. Même avec ses protections, mon F55 aurait déjà du cesser de répondre. Les analyseurs de coque donnaient un chiffre de particules ridiculement bas. Je jouais avec les réglages. La réalité me surprit. Pour des raisons que je ne comprenais pas, le flux se dédoublait devant moi pour se reformer derrière. Tiakakner était-il insensible à cela ? Un sentiment de toute puissance m’emplit. En accélération constante, je me permis des figures toutes plus folles les unes que les autres. La machine ne broncha pas. Je ressentais les forces de dislocations. Je les contrais simplement. C’est en riant aux éclats que je me précipitais vers le centre de ce système que j’allais détruire.
Hautmégafine m’apparut enfin. Planète aux tons ocres vue de l’espace, elle brillait des multiples orages qui s’y développaient. Au loin l’étoile géante jetait des millions de tonnes de particules à la face de l’univers, rendant tout son système complètement inattaquable. Aucun vaisseau spatial ne pourrait s’avancer assez loin pour être une menace. A moins que le disrupteur ne soit l’arme adaptée. Alors que je croisais une zone d’astéroïdes géocroiseurs, je fis feu. Ce fut flux de particules contre flux de particules. J’évoluais dans une flaque d’énergie pure. Quand le phénomène cessa, je m’aperçus de la nullité du résultat. Même l’arme absolue de l’empereur était sans utilité ici. Je repris ma route vers Hautmégafine. J’emmagasinais les informations nécessaires pour danser l’idéogramme de mort de ce système, mais avant, il me fallait récupérer mon père.
Je croisais encore l’orbite d’une planète avant d’approcher suffisamment d’Hautmégafine pour la voir. Cela faisait quatre cycles que j’étais parti de la base impériale. J’imaginais la perturbation que mon départ représentait. Je n’avais averti personne, ni de mon départ, ni de mes intentions. Les ondes radios ne pouvaient être que brouillées dans un tel environnement. J’eus le sentiment de mon intégrale solitude. J’avais compté une demi-décade pour arriver sur la planète. Dans un cycle, Hautmégafine serait sous mes yeux-radars. Je tenais mes prévisions. Si je me laissais encore un demi-cycle ou un cycle pour récupérer mon père, je pourrais être de retour sur la base impériale avant la fin de la décade en poussant un peu la machine.
Hautmégafine m’étonna par sa taille et par sa météo. Je l’avais imaginée plus petite. Les orages que je découvrais sur sa surface, mettaient en jeu des forces considérables. Qu’un peuple ait réussi à survivre dans un tel contexte força mon admiration. Pas assez pour que je n’aille pas au bout de ma mission. Il me fallait repérer mon père. J’étendis mes sens jusqu’à la surface. Une première révolution ne me révéla rien. Je décalais le trajet de façon à parcourir toute la surface le plus rapidement possible. J’en profitais pour ralentir mon chasseur. Un phénomène curieux m’emplit le cœur de joie. A chaque survol d’un de ces gigantesques orages, je percevais son amplification à mon approche, son acmé lors de mon passage et sa diminution après. Je pensais : « Comme si la planète réagissait à moi. » L’idée ne me surprit même pas. Tiakakner jouissait de sa puissance : « même Hautmégafine me salue ! », pensais-je. Il me fallut quatre-vingt-huit révolutions pour ressentir sa présence. Juste au moment où je commençais à douter qu’il soit encore sur la planète aux mille orages, j’avais eu ce pincement au cœur. Je le connaissais pour l’avoir maintes fois ressenti à chacun de mes retours vers l’endroit où nous habitions. Je recalais ma trajectoire en une spirale descendante. Au passage suivant j’enregistrais les paramètres de la région où il se trouvait. Il avait la bonne idée d’être dans la seule région où aucun orage ne semblait vouloir éclater. Mes cartes m’indiquaient qu’il était quand même loin de la colonie impériale. Je pensais de plus en plus qu’il avait voulu aider les autochtones. Cela rendrait sa récupération plus difficile, non que je craigne la réaction des gens du cru, mais j’avais peur qu’il ne veuille pas me suivre.
J’étais maintenant assez bas. Un grand lac miroitait en dessous. Ses berges seraient un lieu idéal pour me poser. Je plongeais.
Comme un météore, mon entrée dans l’atmosphère se traduisit par une traînée de feu. Je n’étais pas inquiet. Tout cela était normal. Mes questions tournaient surtout autour de ce que j’allais pouvoir faire pour le trouver et le ramener. Les images se précisaient. Une vaste cuvette s’étendait dans cette région assez montagneuse. Quasiment en son centre, un lac dont la forme évoquait une caldera. L’image du lac de lave se présenta à mon esprit. Mais si celui-là avait été rouge sombre, l’étendue liquide sous mes yeux avait des reflets d’or. La descente permettait aux détails d’apparaître. Je voyais maintenant que le lac était le centre d’une convergence de lignes. Je les comptais. J’en trouvais huit. Mes détecteurs notaient augmentation de pression. La vitesse diminuait régulièrement. Tout allait bien et pourtant je sentais comme un danger. J’armais le disrupteur. Je ressentais mieux aussi la présence de mon père, mais d’autres sensations venaient la brouiller en partie. Un réseau d’interférences altérait ma perception. Je n’aimais pas cela. Il ne restait que quelques minutes avant de toucher terre. Je passais en mode vidé. Les lignes radiantes se précisaient. En fait je voyais de longues colonnes d’êtres qui semblaient immobiles. « Ce n’est pas possible, ils ne peuvent pas m’attendre ! » J’étais sûr que mon père était avec eux. Il me fallait me préparer au pire. Tiakakner se réjouissait déjà de l’affrontement qui semblait inévitable pour récupérer ce père perdu.
Je me sentais analyser la situation pour voir les points faibles. La cuvette géologique contant ce lac serait parfaite pour concentrer les pouvoirs de l’ange-dieu. En me débrouillant bien, je pouvais danser l’idéogramme de mort de tous ces êtres, ce qui réglerait le problème de la rébellion et récupérer mon père après. J’enlevais le pilote automatique. La danse de mort commença.
Quand le rayon jaillit du lac, je fus surpris. Je le fus encore plus quand il ne me toucha pas. Il était pourtant porteur d’une énergie considérable. Si j’en sentais la puissance, je n’en comprenais pas la nature. Tout en continuant mon tracé, je mis en route les écrans de pan localisation. J’y découvris que comme une gomme gigantesque, il effaçait ce que j’avais déjà inscrit dans les lignes énergétiques de ce monde.
J’eus peur.
Abandonnant ma trajectoire, je fis une ressource pour fuir ce lieu. Quand il atteignit le chasseur, le rayon issu du lac, arrêta tout. La dernière sensation avant celle de chute libre, fut le freinage brutal que mon corps subit. Tout était à la limite du supportable. Je ne perdis pas connaissance. J’étais juste dans une sorte de brouillard, impuissant dans un vaisseau qui sans moteur ne pouvait que s’écraser. Tiakakner en moi hurla de rage. Un flot d’énergie en sortit. Les moteurs repartirent, ainsi que les autres systèmes. Je pris conscience que je n’étais qu’à quelques centaines de mètres du sol. Après les écrans vidéo, ce furent les circuits audio qui reprirent du service. Une clameur immense emplissait l’habitacle. Ce que j’avais pris pour de simples colonnes étaient des chœurs chantant à tue-tête. La puissance du chant me transperçait. De nouveau les moteurs stoppèrent. La rage de l’ange-dieu était impuissante devant la débauche d’énergie qui me touchait.
Ce fut la chute.
Ce fut accompagné du chant à huit voix que je m’enfonçais dans l’eau. Si une partie de moi ne pouvait que laisser aller, l’autre hurlait de rage. La puissance qui m'enveloppait bloquait la machine mais ne me faisait pas de mal. Les écrans et les champs de protection continuaient à fonctionner. Je m’enfonçais toujours davantage. Je mis du temps à m’étonner de continuer à entendre les voix. C’est dans cette ambiance musicale étrange que je touchais le fond. Le F55 souleva un nuage de particules qui se mirent en suspension. Une lumière semblait irradier du fond de l’eau. Le Chasseur reposait sur le ventre dans un scintillement de lumière, comme si chaque micro élément flottant était devenu luminescent. Je trouvais cela beau, sans que la rage ne me quitte. Mes yeux radars repérèrent un peu plus loin la silhouette déjà connue d’une antique fusée. Je-Tiakakner sursautai. Le maître d’Enkafout était venu dans un tel véhicule. Mes sens me disaient que celle-là était vide. Pourtant une force incommensurable pulsait tout autour de moi. Je vérifiais mes armes, ni les lasers, ni le disrupteur n’étaient fonctionnels. Je n’avais plus rien à faire dans cette boîte vide. Je connus la lutte intérieure de mes deux volontés s’opposant. Mon Je-Right humain désirait la rencontre. Mon Je-Tiakakner voulait l’affrontement. Ils tombèrent d’accord pour sortir. J’actionnais le mécanisme d’évacuation. A ma grande surprise, il fonctionna. Dans un tel environnement, il aurait dû se bloquer en raison de toutes les sécurités qui l’entouraient. Le siège glissa sur son rail. Les chants se firent plus lointains. Quand la porte du sas se referma, leur retransmission cessa. Ce fut dans le silence le plus complet que le panneau glissa, ouvrant un passage vers l’extérieur. Je m’étais attendu à ce que l’eau se précipite à l’intérieur. Il n’en fut rien. C’est comme si le chasseur était dans une bulle d’air au fond du lac. Je m’approchais de la limite passant mon bras dans le mur d’eau pour en sentir la réalité. Si j’en croyais ce que j’avais vu sur mes écrans, j’étais par quatre cent mètres de fond dans un lac créé par l’impact d’un vaisseau spatial. Si une partie de moi refusait cette notion comme impossible, la physique contredisant ce que je voyais, l’autre partie hurla sa rage :
- TAT CARAMAKTOU
Je dirigeais mes deux bras vers l’avant, mes mains tendues vers la fusée. La flamme qui en jaillit, vaporisa l’eau sur son passage. Elle aurait sûrement réduit la fusée en tas de ferraille fondue sans…
Les mots manquaient pour décrire la présence devant moi. Le feu se perdit en elle. Le rouge de la colère s’y transmuta en or de sérénité.
- TE VOILÀ REVENU, TIAKAKNER.
- Je te hais, TAT CARAMAKTOU. Je te hais.
- SOIS ACCUEILLI, ANGE DE LA MORT.
- Tu te crois le plus fort. C’est peut-être vrai aujourd’hui mais demain, je serai celui qui emporte la victoire.
- TA HAINE T’ÉGARE, TIAKAKNER. TU TE CROIS DIEU, TU N’ES QU’UN ANGE.
- Même si je te dois ma conception, jamais tu ne seras mon maître.
- TU AS CHOISI RIGHT POUR ÊTRE AU MONDE.
- Tu sais bien pourquoi ! Et pour cela je te hais ! Toutes ces créatures que je dois soumettre à mon joug mortel, devraient me rendre la gloire qui est mienne.
- TOUT CE TEMPS NE T’A PAS CHANGÉ.
- Jamais je ne changerai. Je suis la fin de tout, même de toi.
- TON ORGUEIL EST TOUJOURS AUSSI GRAND. MAIS AUJOURD’HUI, J’AI BESOIN DE TA VOIX DANS LA MUSIQUE DE L’UNIVERS.
- Jamais, je ne t’obéirai.
- JE NE TE LE DEMANDE PAS. TU ES TIAKAKNER, MAIS TU ES RIGHT. SI JE LÂCHE CETTE EAU, TU CONNAÎTRAS LA MORT TOI AUSSI.
- Non, je suis la mort.
- TIAKAKNER EST LA MORT. RIGHT EST UN VIVANT DE LA LIGNÉE DE CELUI QUI PARLE POUR MOI. DE SON UNION À CELLE QUI EST DU PEUPLE QUE JE ME SUIS CHOISI EST NÉ CELUI QUI GUIDE. DE SON UNION AU MONDE EXTÉRIEUR EST NÉ CET AUTRE FILS QUE TU AS CHOISI. IL SERA TON GUIDE PARMI LES VIVANTS.
- Je ref…
En moi la parole se figea. Je-Right acceptait ce que Je-Tiakakner refusait.
- VIENS, SUIS-MOI.
D’un geste rouge feu, Je-Tiakakner fit exploser le F55.
- Jamais, hurlais-je pendant que des éclats transpercèrent mon corps.
Le choc me coupa le souffle. Tout sembla s’arrêter. Un brouillard rouge tomba devant mes yeux.
- NON ! dit une voix
Des bras m’enlacèrent.
- Papa ?
- Reste, mon fils et sois le vivant qui nous fasse passer la mort.
- Papa…
La colère s’éloignait, la lumière aussi. Une pulsation restait, têtue comme un amour qui se vit.
Le temps n’existait plus. Je vis le désir d'un père devant la vie qu'il avait donnée. Mon désir s'y accorda. La vie se mit à brûler en moi. La vie contenait la mort. J'étais ce vase de vie contenant la mort.
- TOUT EST À SA PLACE. ALLEZ ET GUIDEZ.
Devant les chœurs prosternés, « Celui qui parle pour lui » remonta du lac tenant par la main « Celui qui contient la mort ». L'empire était vaincu mais ne le savait pas encore.
Le temps retrouva son rythme.
Ainsi commença l'ère de l'UN, unique.
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Je suis "dans un scintillement de lumière, comme si chaque micro élément flottant était devenu luminescent."
RépondreSupprimerAinsi commence...