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jeudi 7 octobre 2010

Sixième épisode

Sixième scène

Je volais vers la gloire de la mort donnée. J’avais obtenu carte blanche pour régler le problème de rebelles sur ce monde perdu. Je me voyais déjà danser la mort pour ce système. J’en anticipais déjà le plaisir.
La rencontre avec l’empereur avait été décevante en dehors de cela. Dans mon souvenir, il y avait l’image d’un demi-dieu au charisme rayonnant. J’avais eu devant moi un homme empli de peur et de désir de puissance. Si mes yeux humains voyaient l’enveloppe et le décorum voulus par l’empereur, mes yeux d’ange-dieu étaient sensibles aux forces de mort présentes dans chaque individu. Chez lui, il y avait indéniablement un fort désir de mort, tourné vers tout ce qu’il considérait comme ennemi. Sa peur lui en faisait voir beaucoup. C’est elle qui le commandait vraiment. Le reste n’était que paroles creuses pour donner à croire autre chose. Lui-même y croyait. Il régnait sur une multitude de peuples, races et nations et sa peur lui commandait de détruire ce petit monde perdu au fin fond de l’univers parce que ses analystes et lui sentaient que peut être ce qui se levait là-bas mettrait sa puissance en cause. Devant moi, il pérorait donnant des explications plus propres à le convaincre du bien fondé de son action qu’à me convaincre moi qui voyait pulser la peur en lui. Il voulait que je laisse tomber les Marges Orientales pour régler au plus vite ce « problème ». Elles étaient à genoux. La fin de la conquête était une question de décades. Il me demandait de laisser Ktanm pour cette mission. Elle avait une signature radar inimitable qui représentait une force nécessaire dans la bataille des Marges. J’aurais droit à un F55 tout neuf avec un disrupteur. Je fus assez content de cette nouvelle. J’allais pouvoir de nouveau montrer mes talents de pilote. Je savais les raisons invoquées fausses. C’était assez plaisant de le voir ainsi monter tout un discours logique pour m’amener à faire sa volonté. Sa peur était bavarde. Sur ce monde naissait une force capable de le renverser. Les rebelles assoiffés de sang préparant des attaques contre l’empire étaient une vue de son esprit. Quant à Ktanm, il avait aussi peur pour elle. Curieusement son esprit s’éclairait quand il parlait de Ktanm. Elle lui avait plusieurs fois sauvé la vie, alors qu’il n’était qu’un des pions sur l’échiquier d’un autre. Il était arrivé là où il était en partie grâce à elle. Il restait en lui un sentiment léger et lumineux qui tranchait sur la noirceur du reste de son esprit. Elle était la seule dont il ne cherchait pas ce qu’elle allait tenter pour prendre sa place. Je sentais pourtant que la décision de ne pas venir avec moi venait d’elle. Elle aussi sentait la peur, une peur nouvelle pour moi. Même au plus fort des combats, je ne lui avais pas senti ce sentiment. Aujourd’hui à l’idée d’aller sur ce monde, elle tremblait. Que risquait-elle ? Il me faudrait le découvrir.
Quelques échanges radio avec les autres vaisseaux me ramenèrent à la réalité en cours. J’avais pris la tête d’une petite flotte de quelques dizaines de bâtiments tous surarmés. Je donnais les ordres pour que notre plongée dans le TET se fasse de manière synchrone. Notre destination était à presque une semaine de vol. Je n’avais eu que quelques jours pour me préparer. Le F55 était une merveille à piloter. Le savoir équipé d’un disrupteur était une jouissance pour moi. Je n’avais guère eu de temps pour gérer mes affaires. Mon passage au palais que j’occupais m’avait laissé insatisfait. Si mes yeux d’ange-dieu avaient été agréablement séduits par la noirceur intense dont brillaient certains de mes collaborateurs, ils avaient été blessés par la blanche lumière intérieure de certains autres. J’avais mentalement fait une liste de tous ceux dont il faudrait que je me débarrasse. Leur présence même à côté de moi m’insupportait.
La rencontre avec l’empereur me revint en mémoire. Il y avait quelque chose qui m’avait échappé. J’avais une semaine pour trouver quoi.
La routine du vol s'installait. Nous, les chasseurs, nous vivions dans notre microcosme même si nous pouvions communiquer avec les autres vaisseaux car dans la même bulle d'espace temps. Beaucoup en profitaient pour récupérer le sommeil en retard et faire ce qu’ils ne pouvaient pas faire en temps ordinaire. Il n’y avait pas de communication facile avec l’extérieur. Le transit des informations se faisait par l’intermédiaire d’un vaisseau équipé d’hyper-ondes. C’est comme cela que j’appris ma nouvelle victoire dans les Marges Orientales. Je souris en pensant à Ktanm qui jouait mon rôle. Cela me remit en tête son refus de venir avec moi. Je la comprenais un peu. Mon « armée » était un ramassis de corsaires plus habitués aux coups tordus qu’aux franches batailles. Mes yeux d’ange-dieu les voyaient comme autant de points noirs. Quels que soient mes ordres de destruction, j’étais sûr d’être obéi. Je pensais à la mort que nous allions faire ruisseler sur ce monde. Je demandais une connexion au RésOrd. Elle arriva avec les lenteurs classiques que nous avions dans le TET. Je cherchais des informations sur ce système où nous allions. Sa représentation graphique s’afficha. Je commençais à chercher comment je pourrais tracer un idéogramme de mort. Je savais que la finalisation de cette danse macabre ne pourrait se faire qu’une fois sur place mais j’aimais bien envisager toutes les variantes possibles. Une étoile unique et capricieuse entretenait un climat électromagnétique des plus détestables. La note accompagnant la représentation insistait sur le danger à pénétrer dans ce système sans faire très attention. Les colères de l’étoile, brusques et puissantes laissaient peu de temps à l’imprudent pour se protéger. Voilà pourquoi Ktanm n’avait pas voulu venir. Elle n’aimait pas l’idée de combattre des ondes. Me revint le souvenir de notre voyage en CET. La panique l’avait prise alors que nous étions soumis aux bombardements de particules. La compréhension me frappa. C’était le même système. Nous avions pour mission de détruire le système où vivait mon père… L’émotion m’emplit. Même si je ne l’avais pas vu depuis longtemps, et même si je désapprouvais sa façon de vivre et de rechercher je ne sais quoi, savoir que nous allions tuer les rebelles sur la planète où il habitait, me faisait un choc, sans parler du risque de devoir tout détruire pour obéir aux ordres de l’empereur. Mon esprit se figea autour de cette pensée : «  ce n’est pas possible… ce n’est pas possible ». Je ne pouvais admettre la nouvelle. Je passais les veilles suivantes à tenter d’infirmer la vérité. Plus je creusais le sujet et plus il devenait évident que nous allions dans le système d’Hautmégafine. Le résOrd était pauvre en informations. Revenaient comme un leitmotiv les mises en garde contre les radiations de l’astre. Si cela avait desservi le peuple d'Hautmégafine en l’empêchant d’accéder aux voyages intersidéraux, cela l’avait aussi protégé des pillards et autres pirates. Les planètes habitables dans un petit système perdu sans grande richesse n’étaient pas très nombreuses. Elles procuraient un havre de tranquillité et une base arrière pour tout un tas de trafic tous plus louches les uns que les autres. Ici rien de comparable. Un espace empli de bouffées de radiations potentiellement mortelles, capables de détruire l’électronique de bord, était un rempart efficace. Nous allions nous-mêmes devoir les affronter. J’utilisais ma position militaire pour avoir accès aux documents confidentiels concernant la qualité des vaisseaux  de l’expédition. Mon F55, tout neuf était équipé de protections cristallo-métalliques qui devraient le protéger efficacement. Les autres étaient plus anciens donc plus fragiles. Si certains avaient de très bonnes chances de ne pas souffrir des radiations, les autres beaucoup plus vieux ne supporteraient pas ce régime très longtemps. J’étudiais à nouveau le plan du système. Il fallait absolument que je trouve un dérivatif à ma crainte de ce que je pourrais faire une fois sur place.
Le TET arrivait assez loin de la base spatiale. A notre sortie, il était indispensable de mettre un écran entre l’étoile et nous de façon à nous protéger. Nous ne pouvions pas prévoir le moment de notre sortie. La mort risquait déjà de frapper là. Nous n’avions pas le choix. Je fis préparer les équipages à la manœuvre de sortie du TET. Tous les vaisseaux ayant une protection suffisante viendraient en première ligne pour protéger les plus vieilles machines.
L'image de mon père ne me quittait pas vraiment l'esprit malgré tout ce que je faisais pour m'occuper. J’échafaudais les plans les plus fous pour le sauver. La réalité me rattrapa. Je ne savais ni où il était, ni ce qu’il faisait. Il me fallait des informations. Je ne pouvais pas aller sur le RésOrd et demander simplement. Cela aurait éveillé les soupçons. L’empereur ne m’en avait pas parlé. Il y avait une raison sûrement liée à sa peur. Toutes mes requêtes restèrent vaines. Si j’avais les noms, grades et emplois de tous les membres de l’empire, je ne trouvais rien de précis sur mon père. Un mot par-ci, une image par-là me mirent sur la trace de lettres qui auraient été écrites. Malgré mon grade et mon rôle premier dans cette « guerre », certains contenus de site ne m’étaient pas accessibles. Je reconnaissais la manière de faire des services secrets. Le secret que je sentais là, m’exaspérait. Qu’avait-il fait ? Je supposais qu’il avait passé la ligne de l’action contre l’empire. Commandait-il un groupe de rebelles ? Je ne le pensais pas, en moi son image était trop claire. Je faisais l’hypothèse qu’il avait dû encore une fois prendre fait et cause pour les opprimés de cette planète. Sans protection politique, cela avait dû se retourner contre lui. Maintenant, où était-il sur cette planète géante ? Cela éveillait en moi la colère. A cause de ce ridicule attachement, je n’allais pas pouvoir danser l’idéographe mortel. En moi, régnaient le chaos et le combat. Le fils ne pouvait renoncer au père et l’ange-dieu voulait prendre puissance en semant la mort.
Je relâchais la tension en moi en préparant les plans de vol à la sortie du TET. Je fus occupé pendant toute une journée. Quand vint le temps de sommeil, je ne pus me fuir. Mon cœur devenait la scène d’un dialogue de sourds entre deux entités au désir opposé. Quand Tiakakner comprit que Right ne lâcherait pas Right, il céda. Ou plus exactement, l’ange-dieu mit son savoir et sa force au service de la recherche d’informations. Passant de site en site, empruntant les codes et les identifiants rencontrés, je me sentais devenir partie intégrée du résOrd. Les portes plus ou moins cachées s’ouvraient devant moi. Les mots scintillèrent devant moi :
« Courrier reçu le 8e jour de la 3e décade du 11e mois de la 83e année de la 3e Ere par porteur Uhom et transmis avec le courrier de la colonie aux autorités compétentes.
Les propos tenus pas le Commandant Médecin Right nécessitent une réponse ferme et une colonisation véritable de cette planète afin d’étouffer toute velléité de rébellion contre l’Empire. Je mets mes forces en alertes, en attendant les renforts promis.
Je ne transmets pas cette lettre à son destinataire, laissant la décision aux services du Gouverneur militaire de la Région 24. »
De nouveau, je vécu l’intense émotion du fils face à son père. Ces lettres, je ne les avais jamais reçues. Des images en résolution basse accompagnaient les commentaires du gouverneur. On y voyait une écriture serrée et difficilement lisible. Toutes mes tentatives de les agrandir se heurtèrent à la pixellisation. Plus je grossissais l’image et plus le sens des mots écrits s’effaçait. J’en ressentis une peine immense. Je passais des heures à parcourir ces documents, tentant de m’imprégner du sens. Je comprenais un mot par-ci, par-là. Il était manifestement parti avec les indigènes. Certains noms mieux écrits qui revenaient me donnaient à penser qu’il avait une compagne et un fils. J’avais donc un demi-frère. Je comprenais le silence de l’empereur. D’autres noms revenaient. L’insuffisance du déchiffrage mettait une barrière à ma compréhension. Il me fallait les scans haute définition de ces lettres. J’eus le désir de courir encore le long des circuits du Résord mais nous approchions de la fin du TET.
Je restais sur ce patchwork de sensations et d’émotions. La colère était aussi présente, celle de Right ne pouvant poser les yeux sur ce que son père lui avait écrit et celle de Tiakakner comprenant qu’il ne pourrait pas détruire d’un coup d’un seul ce système. L’attente devint intolérable.

1 commentaire:

  1. "Je tenais à vous le dire,
    Ce soir je vous remercie de vous..."

    Histoire captivante.

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