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samedi 20 mars 2010

Quatrième épisode


Scène un
 


Je regardais le soleil couchant. Avant de rejoindre le système d'Endoor j'avais obtenu une permission pour finir ma convalescence. Je passais encore une à deux fois par semaine en caisson de régénération pour éliminer l'effet des radiations que j'avais subies.
J'avais retrouvé la planète Mondquatre où j'avais si longtemps été pilote atmosphérique. Quand je recalculais les années, cela n'avait pas été très long. J'en gardais un souvenir d'ennui profond dans la pratique de vols trop automatisés, à attendre seul dans mon cockpit que passent les heures.
- Bonsoir!
La voix féminine me fit sursauter.
- Je te dérange?
- Non, j'étais perdu dans mes souvenirs.
- J'en fais encore partie?
Son parfum n'avait pas changé, mélange agréable et piquant qui m'évoquait les fleurs d'été fraîchement coupées. Non, Eisa n’avait pas changé. Ses cheveux noirs très longs étaient remontés en une coiffure compliquée selon une mode qui m’avait toujours été étrangère. Le teint très pâle comme il sied à une jeune femme de la classe gouvernante, elle posait sur moi un regard interrogateur. Sa tenue sans être provocante montrait sa liberté par rapport aux convenances. Les souvenirs remontèrent à mon esprit.
Nous nous étions côtoyés pendant bien longtemps. Pendant que son père montait les échelons de la hiérarchie qui gouvernait Mondquatre, le mien se faisait remarquer par son attitude de plus en plus critique vis-à-vis de l’Empire. Xintao, sa conjointe très liée à la famille gouvernante, intercédait pour le protéger des conséquences de ses prises de position. La dernière intervention de mon père pour la défense des bordeurs, ces populations de marginaux réprouvés, avait fait déborder la coupe. Xintao avait baissé les bras. Trop, c’était trop. Elle regrettait la punition qui le touchait mais pas au point de partager avec lui l’exil.
Eisa avait enchanté mes jours avant d’enflammer mes nuits. La passion avait cheminé dans nos cœurs et dans nos corps. Nous nous pensions discrets, cachés. Nous étions transparents.
Brillante dans ses études, elle portait les espoirs de son père. Celui-ci supportait mal notre relation. Il eut l’intelligence de ne pas s’opposer directement à Eisa. Je pense que je lui dois mon acceptation dans cette école de pilote atmosphérique malgré mon dossier plus que moyen. Je fus ainsi absent de longs mois. Sur le moment, voir se concrétiser mon rêve m’avait fermé à la déception d’Eisa. La séparation lui fut pénible.
Lors de nos retrouvailles, la passion avait fui nos rencontres. La tendresse était là, nous la prenions pour de l’amour. Eisa avait un cursus universitaire superbe qui lui ouvrait les portes de hautes études sur Terre Un. Mes qualités de vol m’avaient ouvert les portes de la meilleure compagnie d’avions de Mondquatre. En quelques semaines, je me retrouvais embarqué dans un travail aux horaires irréguliers. Pour garder Eisa, il aurait fallu que je renonce à voler.
Je me souviens de notre dernière rencontre. J’allais embarquer pour piloter sur le vol vers Solem. Eisa partait pour l’astroport et pour Terre Un. Dans ce hall plein de monde, elle se tenait très droite sur le tapis roulant, éclairée par le soleil levant. J’allais dans l’autre sens. Nos regards se sont croisés. Ses yeux m’interrogèrent. J’y ai lu l’espoir d’un avenir pour nous… Mon vol m’attendait…je ne me suis pas retourné.
- C’est Xintao qui m’a dit où tu étais.
- Elle m’a accueilli pendant mon séjour.
- Tu restes longtemps ?
- L’empereur m’envoie sur Endoor pour prendre la tête d’un groupe de chasse. Dans quelques jours je serai parti.
- …
- Que deviens-tu ?
- Tu aimes toujours autant voler. J’ai appris tes exploits. Mes félicitations.
- Je crois que j’ai surtout eu de la chance.
- Comme sur AZ4 ?
- Ah ! Tu sais cela aussi.
- Oui, je m’intéresse à toi et à ce que tu deviens.
Je gardais le silence en regardant le soleil s’enfoncer dans l’océan vert de la forêt de Brentalli. Les mains appuyées sur la balustrade, je guettais cet instant merveilleux où tous les fruits des milliers de Brent, ces arbres endémiques sur Mondquatre, se mettaient à briller. Le vert sombre de la forêt se muait alors en vaste océan de lumière enflammée.
Eisa mit sa main sur la mienne.
- Ça aurait pu…
- Oui, ça aurait pu…
Elle ne brisa pas notre silence quand elle repartit.

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