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mercredi 19 mai 2010

Cinquième épisode

Cinquième scène suite

Nous tombions de plus en plus vite. Les instruments semblaient fous. Je voyais la porte s’ouvrir comme pour nous happer. Ktanm semblait hypnotisée par ce rougeoiement vers lequel nous nous précipitions en accélérant, elle gardait le silence. Seul un grésillement dans mes oreilles me signalait que les circuits fonctionnaient toujours. Je m’agitais cherchant à rétablir les contacts, relançant les processus de restauration des systèmes. Je jetais un coup d’œil de temps à autre par mes yeux-écrans sur ce qui nous attendait. Cela m’évoqua le Pandémonium. Cette vision était fascinante et repoussante à la fois. Seul le chrono semblait fonctionner au ralenti. Le chaos s’installait autour de moi. Ktanm se mit à marmonner des mots sans suite :
- Has! Irimiru Karabrao!
Cela m’évoquait un souvenir, mais pas moyen de retrouver lequel. La chaleur montait autour de nous. Dans quelques secondes nous allions nous écraser. Je ne pouvais m’abandonner. Devant l’échec de tous mes essais, je déclenchais manuellement les mécanismes de  secours. Les champs de force se déployèrent lentement alors que nous allions toucher la surface. L'impact fut prodigieux. Je fus heureusement protégé par le champ de confinement interne antiG qui s'était activé le premier. Je ne savais pas si toute la structure avait résisté. La température à la surface du F54b monta à plus de mille degrés. Puis le champ externe prit vigueur et repoussa la lave à distance tout en absorbant l'excès d'énergie. Sans avoir la puissance d'un impact laser, la lave transmettait un flux énergétique important qui emplissait les accumulateurs du vaisseau. Emporté par notre élan, nous nous étions enfoncés dans le lac de lave. Sur mes yeux écrans, tout était blanc. Saturées de photons infrarouges, les caméras ne voyaient rien.
- Ktanm, fais quelque chose, on va y rester!
- Has ! Has ! Has !
Ce n’était pas possible. Elle semblait complètement à côté de la réalité. Retrouvant les réflexes de pilote que je n'utilisais plus car Ktanm savait être plus efficace, je laissais courir mes ordres dans les circuits. Sur mes yeux écrans une ombre gigantesque passa, nous bousculant. Les gyroscopes s'affolèrent. Le vaisseau faisait des cabrioles dans les remous de lave. Les évènements récents me revinrent en mémoire. J'avais passé la porte. J'étais face au dieu antique et infernal. Je commençais à comprendre ce qu'avaient voulu dire les Vrais Vivants. Je ne savais pas qui ils pouvaient être, mais pour moi, ils avaient personnalisé les forces de la planète sous ce nom de dieu. Dans ce que j'avais lu sur Endoor, le RésOrd parlait d'éruptions cataclysmiques anciennes. Je préférais penser être dedans que face à un dieu dont je en savais rien. Protégé par ses champs de force, le F54b résistait. Je ne savais plus ni où était le haut, ni le bas ni rien pour m'orienter. Sur les différents capteurs, des ombres passaient, nous entraînant dans des mouvements erratiques. Mon intelligence me soufflait que ces ombres étaient le fait des zones moins chaudes et des courants de convexion dans la lave. Mon imagination y voyait des mains, des silhouettes gigantesques jouant avec le chasseur. Je n’allais pas mourir immédiatement. Je fis le point de la situation. Ktanm délirait et chantait.
- Tradioun Marexil fir trudinxé burrudixé!
   Fory my dinkorlitz.
   O mérikariu! O mévixé! Méri kariba!
Cet air chanté m’évoquait un opéra sombre et beau que j’avais déjà entendu. Ne répondant à aucune de mes questions, je compris qu’elle ne m'aiderait pas. Je lançais les contrôles de démarrage. Cette réinitialisation sembla les remettre en marche. Je vis les différents systèmes répondre les uns derrière les autres, même les moteurs répondirent. Si j'avais voulu, j'aurais pu les allumer, mais pour aller vers où? Il fallait que je m'oriente.
- Trudinxé caraibo.
   Fir omévixé merondor.
   Mit aysko, merondor, mit aysko!
Ktanm délirait, j'étais sûr du  lien avec ces mouvements que je sentais autour de nous. J'utilisais ce qu'elle m'avait appris sur les forces de l'espace. Nettement moins clairement, je sentis la puissance à l'œuvre autour de moi. Un œil sur les jauges des accumulateurs qui se remplissaient malgré les champs de protection poussés au maximum, je laissais le reste de mon esprit prendre la mesure de ce qui l'entourait. J'eus peur!
Je venais de palper des forces immenses comme je n'en avais jamais senties. L'espace était un lieu où les énergies étaient puissantes mais plus diffuses. Ici tout semblait vouloir me submerger. Je recommençais mon exploration. Je n'avais pas le choix. Si je ne pouvais pas remettre les moteurs en marche, la saturation des accumulateurs nous détruirait.
Me vint à l'esprit : Aseoariu, fils de Celui qui vient. Prononcer ces mots me fut apaisant. Il y avait là dedans aussi une force que je ne connaissais pas non plus. Force contre force et moi au milieu, fut l'idée qui occupa mon conscient.
- Oh!
   Diff! Diff! merondor, merondor aysko!
Ktanm faisait chorus avec la force extérieure. Je répétais :
- Aseoariu, fils de Celui qui vient !
Le disrupteur ! Voilà la solution ! Je mis en route manuellement le module de tir. En détruisant tout devant moi, je pourrais me repérer. Nous continuions à virevolter dans tous les sens. Sans le champ de confinement interne, je n'aurais rien pu faire. Il rendait mes gestes lents mais je pouvais agir. J'activais la deuxième étape du disrupteur. Pendant que se déroulaient les protocoles de mises en route, je laissais de nouveau mon esprit toucher les forces extérieures. Je reçus une bouffée de jubilation malsaine qui fut cachée par un chaos de sentiments. Qu'est-ce que cela voulait dire?
Je continuais à étendre mes perceptions. Plus loin, plus ténu, je ressentis de la tristesse arrivant comme des vagues sur le bord d'une plage. Je fus déstabilisé. Je n’arrivais pas à donner du sens à ce qui se passait. Un affrontement se déroulait. Les Vrais Vivants avaient raison. J’étais le jouet, l’enjeu et la clé de ce qu'il se passait.
La sonnerie d'alerte des accumulateurs me ramena au réel. Ils allaient dépasser leur capacité. Le danger qu'ils explosent devenait trop important. Je n'avais que le temps de finir la mise en route du disrupteur. Je lançais la séquence de pré-tir. J’étais impatient de l’utiliser. J’avais vu son action. J’allais renvoyer au chaos primordial toute cette lave qui m’entourait et ce qui l’habitait. Une exaltation monta en moi. Encore quelques secondes et je déchirerais l’espace-temps, annihilant tout devant moi…Tout ? Une impression plus qu’une image se forma dans mon esprit. Annihiler l’espace, je le comprenais, mais le temps… Il allait se déchirer. Qu’allait-il advenir ?
Les lampes d’alerte clignotaient en rouge maintenant. Dans quelques secondes, le disrupteur serait prêt. Ktanm psalmodiait toujours ces mots que je ne comprenais pas mais dont les accents me faisaient frissonner d’exaltation. Si elle avait eu les commandes de mises à feu à sa disposition, elle aurait déjà utilisé le disrupteur. Je fis les exercices de relaxation que mon père m’avait appris quand plus jeune, je n’arrivais pas à maîtriser ma colère. Les vagues de tristesse m’envahirent alors. La sonnerie d’alerte me ramena une fois de plus au réel. Sa tonalité atteignait des sommets. J’avançais la main vers la gâchette. Il fallait libérer de l’énergie ou mourir. Entre exaltation et tristesse, j’appuyais fermement en fermant les yeux.
Je ne sus jamais ce que j’avais réellement fait. Erreur ou force de l’habitude ? Je sentis le chasseur se stabiliser et partir en arrière, poussé par le recul des lasers. Je n’avais pas appuyé sur la gâchette du disrupteur mais sur celle des lasers. Je compris immédiatement le bénéfice que je pouvais retirer de ce mouvement de recul. Je cessais d’être le jouet des forces aléatoires qui semblaient régner dans ce lac de lave pour redevenir gouvernant. J’avais des réserves d’énergie. Je recommençais à tirer. Mes instruments de vol se stabilisèrent. Mon indicateur de gravité retrouva son fonctionnement habituel. Je savais maintenant où était le plus gros de la masse autour de moi. Le ciel devait être à l’opposé. Jouant sur la puissance respective des deux lasers, je fis tourner le F54b pour qu’il ait le maximum de poussée vers ce que je pensais être la sortie. En ce faisant, je m’enfonçais plus profondément dans la lave, chaque impact de laser me faisant reculer. Sur mes yeux-écrans, je vis à nouveau cette ombre gigantesque non loin de moi. Le chasseur courait sur son erre en marche arrière. J’avais enclenché le démarrage des moteurs. Je n’avais plus qu’à attendre. J’ouvris mon esprit aux sensations extérieures. Un immense sentiment de satisfaction m’entourait, m’accueillait… Non, accueillait la force que représentaient le chasseur et celle qui l’habitait. Je sentais une volonté à l’œuvre désireuse d’exploiter la puissance disrupteur. Ktanm était prisonnière d’elle. Ses ombres mains s’ouvraient pour nous. J’étais encore en contact avec elle quand les moteurs se lancèrent. Pendant quelques instants, le chasseur s’immobilisa. Puis doucement d’abord et de plus en plus vite, il accéléra. Autour de moi, ce fut l’étonnement, puis la contrariété qui fit place à la colère. Je vis sur mes yeux-écrans le noir du ciel devant moi. Je poussais la puissance au maximum. Sur mes écrans arrière, je vis comme de gigantesques mains de lave qui tentèrent de me retenir. Je fis un Immelmann impeccable. Quand je fus face au lac de lave, j’actionnais mes armes. Le disrupteur hurla. Je fis un rétablissement pour m’éloigner de la zone. Mon tir creusa un trou plus noir que la mort dans la lave. Le contact avec la volonté que je sentais à l’œuvre disparut brutalement. Les vagues de tristesse firent place à un sentiment de soulagement. Dans la caldera au lieu du lac de lave s’ouvrait un TET. Le disrupteur bousculait tellement la trame de l’espace temps qu’il avait ouvert un TET dans une planète.
- Right, je ne peux rien ! Right, on va s’écraser…
- C’est fini Ktanm ! C’est fini.
Je remis le cap sur Arche 12. Ktanm insista pour que je lui raconte ce qui venait d’arriver. Je le fis honnêtement en oubliant simplement de mentionner ses paroles. Le F54b semblait parfaitement fonctionner, seul un petit clignotant jaune signalait une anomalie dans le couloir d’accès au poste de pilotage. Mais ça pouvait attendre.

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