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lundi 25 janvier 2010
dimanche 24 janvier 2010
Fin de récit
Pour illustrer la douzième lettre, j'ai hésité entre deux photos pour choisir celle qui est affichée. Elle me semblait plus correspondre à l'esprit de la danse et du chant. La deuxième photo évoquait plus la divinité et sa complexité.
Il manque une voix au récit. Un jour peut-être.
samedi 23 janvier 2010
Lettre DOUZE
302e jour de l’année du Hann
Bien cher Fils,
Un couple est venu. J’ai été surpris d’entendre l’époux s’exprimer dans la langue commune de l’Empire. Il s’agit du médecin de la colonie disparu il y a quelques années. Il est marié aussi mais n’a pas d’enfant. Ses Pierres de conseil l’ont dirigé vers moi. C’est ainsi qu’il m’a présenté son arrivée. Il m’a dit avoir reçu un message pour moi au cours d’une fête. « Les uhoms sont des pacifiques tandis que nous de la race des hommes, nous sommes remplis de violence possible. Tant que vous n’aurez pas réussi à pacifier votre cœur, vous ne pourrez continuer à progresser vers qui vous serez. » Telles furent ses paroles.
C’est un homme curieux. Fils de la haute noblesse de la grande Kitiananké, il a décidé de rompre avec la tradition familiale pour faire médecine. Il a de même choisi d’entrer au service de l’Empire comme médecin militaire pour voir l’univers. Il a dû son exil sur Hautmégafine à sa famille. Il a refusé de rentrer à la mort du Patriarche familial pour prendre le rang qui lui revenait. Sa famille a fait pression sur les autorités pour le punir et l’amener à rentrer dans le rang. En découvrant la vie des Uhoms, il a décidé de rompre encore une fois, de manière définitive espère-t-il. Nous avons longuement parlé de nos vies antérieures. S’il vit une paix et un bonheur intérieur, il y avait en nous la nostalgie de notre monde maternel. Pour la vivre plus en profondeur nous avons chanté les vieux refrains qui nous avaient émus dans nos jeunes années. Le plus étonnant fut que nos épouses se sont jointes à nous, transformant la langue de l’Empire en Uhom pour dire leur accueil de nos passés et la joie de pouvoir partager ce temps de rencontre. Comme souvent sur Hautmégafine quand un évènement important se vit, le temps de cette soirée a semblé se dilater pour durer, et durer encore.
Lors de leur départ, j’ai eu le sentiment de tourner définitivement la page de ma vie d’avant. Oui je suis homme, mais je ne peux plus adhérer aux valeurs de l’Empire. Si je rentrais, je combattrais toute cette injustice qu’engendre la quête du pouvoir. Tu sais ce que cela veut dire. Les opposants sont mal vus. Revenir signifierait aller en prison pour activisme contre l’empereur. Il est bien préférable que je finisse ma vie ici.
Syltakan m’a bien sûr parlé de cette visite. Elle a ainsi compris ce qu’elle sentait en moi, au fond de moi lors de nos unions. Elle qui est dépourvue de cette colère intérieure, ne pouvait appréhender le monde intérieur d’un homme qui a vécu sa vie à gérer l’agressivité. Elle m’a dit que les enfants Uhoms connaissaient aussi ce sentiment, mais qu’au cours d’une initiation, ils recevaient le don de la paix. Itakamaya devrait bientôt la recevoir. Peut-être pourrais-je y participer, m’a-t-elle dit. J’ai pris cela assez mal. C’est comme si elle me proposait une cession de rattrapage pour enfant mal élevé. Je me suis mis en colère. J’ai élevé la voix, retrouvant pour l’occasion le parler de l’Empire car les mots Uhoms ne savent pas dire la colère. J’ai lu la peine dans les yeux de Syltakan. Cela m’a immédiatement calmé. Notre première dispute, ou plutôt ma première dispute car Syltakan n’a dit que sa peine et sa douleur de mon attitude. Tout à ma honte, je suis parti en courant vers la forêt toute proche. Syltakan ne m’a pas retenu.
J’ai marché, marché, marché. En moi remontaient toutes ces émotions enfouies, de peines, de colères contre l’injustice, contre les injustices que j’avais pu vivre, mais aussi contre toutes celles que j’avais pu commettre. Arrivé dans une clairière, j’ai trouvé un tas de bois coupé. A côté était posée une hache. J’ai passé ma rage sur ces bûches. Nous aurons assez de chauffage pour un moment. Au fur et à mesure que je frappais, je sentais la colère me quitter. Chaque coup était comme une libération. Et le bois volait. Je suis rentré ivre de fatigue. Syltakan m’attendait Itakamaya sur les genoux qui dormait. Quand je me suis approché, elle a souri, m’a demandé pardon pour avoir réveillé la colère tapie au fond de moi. Je lui ai entouré les jambes de mes bras, posé la tête sur les genoux à côté de celle de mon fils et moi aussi j’ai demandé pardon pour cette colère qui ne s’adressait pas à elle, mais à tous les vieux démons qui dorment en moi. Nous sommes restés là un moment puis Syltakan s’est mise à chanter une parole de paix et de réconfort, de tendresse et d’amour. J’y ai joins ma parole, chantant la peine d’un cœur blessé qui étouffe. L’aube nous a saisi ainsi. La calme lumière du matin est venu nous éclairer. La paix régnait.
360e jour de l’année du Hann
Bien cher FilsUne année s’achève bientôt. Je suis toujours « Celui qui vient ». Il me faut descendre en moi, mieux analyser les sentiments qui s’y trouvent, méditer, prier dirait Syltakan. Pour m’y aider, elle m’apprend la pratique de la danse sacrée des femmes. C’est une intuition qu’elle a eue. C’est une danse faite de lenteur extrême et de grande rapidité que les femmes font en l’honneur de Dieu. Dans la croyance des Uhoms, cela veut signifier la maîtrise du temps par Dieu. Depuis plusieurs décades, j’apprends la danse lente, celle du désir et de l’accueil. Elle me montre les pas rapides, mais refuse que je les fasse pour que je me concentre sur la gestuelle de l’attente. Toutes mes matinées sont occupées par cet apprentissage. L’après-midi, je marche beaucoup, parfois seul, parfois avec Syltakan. Elle aime s’asseoir, écouter, regarder, parler. Je préfère le mouvement. Pour elle c’est ce qui reste de mon passé dans l’Empire. « Tu ne sais pas vivre, tu ne sais que faire ! » me dit-elle souvent. Le pire est qu’elle a raison
Dans deux décades nous reverrons « Celui dont le savoir est immense » et « Ceux qui savent » pour une nouvelle cérémonie du changement d’année. Bien que je sente la patience des Uhoms, je n’aimerais pas qu’une nouvelle fois les oracles soient muets lors de la Grande Cérémonie. Cela réveillerait en moi de la culpabilité. Je pense que je me sens lié par cette désignation de la part de Uhoms. Je suis « Celui qui vient » et qui va devenir « Celui qui parle pour lui ». j’ai l’impression de ne pas avoir de place pour moi. C’est une expérience étrange que de se sentir désigné pour un rôle, une fonction. Cela semble me fermer tous les choix. Est-ce que ce Dieu joue avec moi ? A moins que ce ne soit les Uhoms qui me manipulent ? Je commence à être dans une grande confusion. Heureusement que les exercices que me fait faire Syltakan me calment. Sinon l’angoisse prendrait le pas sur tout le reste. Au début, quand j’ai compris que « Celui qui vient » ne désignait pas simplement un étranger qui essaye de prendre contact mais pointait un devenir pour moi, j’ai cru que les choses iraient très vite. Je n’aurais pas eu à réfléchir. Je n’aurais pas eu à remettre en cause mes schémas de pensée. Maintenant plus le temps passe et plus je suis dans la confusion. Qui dois-je croire ? Bien sûr j’ai eu des signes, comme l’accueil des Uhoms, mon mariage, cet enfant, notre Pierre commune, les orages. Ces deux derniers sont les seuls signes objectifs, si l’on peut dire. Les autres sont dépendants des Uhoms. Mais aussi je n’ai pas eu de guide pour me prendre par la main et me montrer le chemin. Je sais, je ne suis pas à une contradiction près. D’un côté je veux jouer de mon libre arbitre et de l’autre, je voudrais un guide. Tout en t’écrivant, je remets mes idées en place. Pour le moment, Syltakan joue le rôle de guide. C’est moi qui manque de souplesse pour être prêt pour la révélation. En disant cela, je me sens coupable. De nouveau, c’est mon passé qui me saute à la figure. Je me revois enfant, ne comprenant pas ce que voulaient mes instructeurs dans le centre où j’étais placé après la disparition de mes parents. Je retrouve aussi toute la peine et toute la colère d’être seul dans ces chambres immenses, me demandant ce que j’avais pu faire de mal pour mériter cela. L’enfant donne parfois un drôle de sens à ce qu’il vit quand personne ne lui explique. Je m’inventais des romans pour expliquer cette disparition, refusant de comprendre que la disparition d’un astronef est le plus souvent banale et accidentelle. La vie est curieuse qui fait revenir ici, aujourd’hui, ces souvenirs anciens que je croyais enfouis et perdus depuis bien longtemps. Le parallèle est intéressant pourtant. Dans la culture Uhom, je ne suis qu’un enfant qui découvre. J’espère pourtant qu’il ne me faudra pas attendre des années pour atteindre la maturité.
66e jour de l’année du Hanan
Bien cher filsLa Grande Cérémonie du Changement d’année s’est bien passée. Itakamaya y a assisté dans les bras de sa mère à côté de « Celui dont le savoir est immense ». C’est lui qui a jeté les Pierres de conseil pour trouver le nom de la nouvelle année. Ce fut une surprise. L’année qui vient de s’écouler s’appelait Hann. Ce mot recouvre un concept de petitesse, un peu comme le mot rien quand nous disons : « Ce n’est rien ». Cette année ce sera Hanan. Pour reprendre la comparaison, cela évoque une expression comme « trois fois rien ». Il y a aussi derrière ces mots un concept de quantité, un peu comme 0.1 et 0.2. Si je te dis tout cela, c’est pour te faire comprendre la surprise de l’assemblée à l’énoncer de ce nom. Cela ressemble à une suite, comme si cette année qui vient était la suite logique de l’année qui s’est achevée. Bien sûr, les Uhoms ne nient pas le lien chronologique d’habitude, mais ils interprètent différemment quand les deux noms se suivent comme cela. « Celui dont le savoir est immense » évoque un signe de la volonté de Dieu. Pour lui, « Celui qui avance » a décidé un plan et l’applique. C’est une grande joie pour le peuple, puisque son Dieu fait advenir son désir. « Celui dont le savoir est immense » a convoqué le chœur de chanteuses et les danseuses pour une grande fête qui aura lieu dans quelques décades ici même.
J’ai appris depuis que les Pierres de conseil veulent que je participe aux danses. Syltakan a repris mes entraînements pour que je sois prêt pour le jour de la fête. Elle ne dit pas entraînement, pour elle c’est une ascèse du corps pour s’ouvrir à la rencontre. Bien que ce soit une danse de femme, « Celui qui parle pour lui » se doit de la connaître pour pouvoir rencontrer « Celui qui avance » qui est et homme et femme. Elle m’explique le pourquoi des gestes et des attitudes de la danse pour que tout mon être y participe. Quand je danserai, elle chantera pour que sa voix accompagne mes gestes et que notre couple soit uni dans la rencontre.
En t’écrivant cela, je prends conscience de l’imminence d’une rencontre. Pour Syltakan, cela ne fait aucun doute. Pour moi, je commence à croire que c’est possible et je vis dans la crainte de ce qui m’attend.
143e jour de l’année du Hanan
Bien cher Fils
C’est la dernière fois que je t’écris. L’impossible est arrivé. Je sais que bientôt nous nous rencontrerons. Mais il faut que je te fasse le récit de ce qui s’est passé.
La fête était prévue pour le 111e jour. Le Un répété trois fois est un jour saint pour une rencontre sainte.
Depuis la dernière fois, nous avons répété tous les jours, les gestes et les paroles-chants de la danse. Plus nous approchions de la date et plus notre vie s’orientait vers la prière. Cela ne veut pas dire tristesse et abattement, Syltakan et Itakamaya sont trop pleins de vie. Pour eux la rencontre ne peut être que joie et bonheur. C’est porté par ce sentiment que j’accomplissais tous les rites de la journée, temps de méditation, temps de danse, temps de prière ensemble.
Dans les jours précédents la fête, ils sont arrivés. Une foule immense a envahi les abords de la cuvette. Le lieu est Chaÿan. On ne peut y vivre sauf exceptions comme nous ou « Ceux qui savent ». « Celui dont le savoir est immense » est venu s’installer près de nous. Il m’a expliqué que chaque groupe de vie avait envoyé une famille pour le représenter à la « fête de la rencontre ». Le peuple Uhom doit être très nombreux s’il faut déjà tant de personnes pour le représenter. Toutes les Pierres de conseil chantent l’approche de « Celui qui avance ». C’est un peuple dans l’allégresse qui a pris place à l’aube du 111e jour tout autour de nous selon un protocole précis où chacun a une place et un rôle à jouer. Près du lac et de la roche fendue, tous « Ceux qui savent » se sont mis en cercles. Au centre les danseuses et les chœurs à huit voix qui vont dire la cérémonie. Itakamaya est avec eux, assis, le sourire aux lèvres. « Celui dont le savoir est immense » est sur la roche, Syltakan et moi sommes au pied de ce promontoire pour faire « ce qui doit être fait ». La formule est elliptique mais personne ne sait exactement ce que je dois faire. « Celui qui avance y pourvoira ». Autour s’étendant comme les rayons d’une roue, les Uhoms sont rangés en colonne. Il y en a huit. Ce sont en fait d’immenses chorales qui vont reprendre et amplifier ce que chante le chœur central.
Quand j’ai demandé l’heure du début de la cérémonie, Syltakan m’a répondu : « Celui qui avance » donnera un signe, en attendant mangeons ». Je m’attendais à tout sauf à cela. Chacun à sa place, a sorti de quoi se restaurer. Le silence s’est fait. Le soleil montait lentement dans le ciel, quand les premiers grondements d’un orage se sont fait entendre au loin vers le Nord. Croyant au signe annoncé, j’ai attiré l’attention de Syltakan, qui m’a fait non de la tête. D’autres éclairs ont jailli vers l’Est, puis vers le Sud. De nouveau, je posais la question. La réponse fut encore négative. Bientôt le ciel tout autour de notre région fut rempli d’éclairs et de grondements, mais aucun orage ne semblait se rapprocher. L’air était immobile. Une voix s’éleva, puis une deuxième, bientôt le peuple entier fredonnait une parole d’attente et d’accueil. Le soleil était à son zénith, le peuple fredonnait toujours, les orages grondaient tout autour au loin, je m’impatientais. Syltakan me prit la main : « Ne crains pas ainsi, « Celui qui avance » est maître du temps. Laisse le libre. » L’heure avançait, quand une petite brise courut sur le lac. « Celui dont le savoir est immense » fit un signe. Le Chœur central se mit debout et commença le « chant du désir de Dieu ». Je t’en ai déjà parlé. Il faut huit heures pour le déployer dans son entier. J’allais avoir le privilège d’entendre le Chant-Parole le plus sacré de cette planète dans toute sa plénitude. J’en connais les paroles mais l’entendre chanter par des milliers de voix unies est autre chose. D’autant plus que vu la configuration du terrain, tout le son semble converger vers le centre des cercles où nous étions. Je n’entendais plus la musique, j’étais un morceau de ce chant-parole, entraîné dans le maelström de la création et du désir de « Celui qui avance ». L’expérience est incroyable. A côté de moi, la voix de Syltakan s’est élevée non pour s’y accorder mais pour ajouter une neuvième partition, celle de l’homme, de notre couple. Je te dis bien celle de l’homme, pas du Uhom. Syltakan chantait les hommes. J’ai commencé à danser, non pour me joindre aux danseuses disant la Sagesse de Dieu, mais pour qu’existe l’homme avec tout ce qu’il est en bien et en mal. C’est alors que la lumière est apparue. Le chœur chantait la création du peuple Uhom quand la Présence a surgi du lac. Aussi intense qu’une étoile, mais voilée de nuages, la Présence se mit à chanter alors que je dansais la guerre des hommes et que Syltakan chantait la désolation de la dévastation et de la mort. Un rayon m’illumina, nous illumina tous les trois. Itakamaya se mit à grandir sous mes yeux. En moi, « Celui qui avance » dit son Désir, me laissant libre de répondre. Aucune parole ne peut retranscrire le flot d’images, de sons, de connaissances qui m’envahit. Je ne sais si cela a duré un instant ou une éternité mais j’ai su. « Celui qui avance » m’a fait don d’une connaissance si vaste qu’aucun homme n’en eut jamais autant. J’écoutais le Désir de Dieu, il me sembla bon. J’y accordais le mien, rencontrant celui de Syltakan et de Itakamaya. Le chant gagna en puissance. Le rire de la joie de « Celui qui avance » fut entendu sur tout Hautmégafine. La communion était totale. J’étais devenu « Celui qui parle pour lui » empli de notre désir commun, entendant le chant même d’Hautmégafine comme Lui l’entendait, entendant le chant de la création comme il était et sachant comme Il le désirait.
La Présence se fit plus discrète jusqu’à disparaître aux yeux des Uhoms. En moi restait la conscience que « Celui qui avance » était là. Le soleil n’avait pas bougé. Pourtant le « chant du Désir de Dieu » s’achevait. Nous avions vécu la rencontre mais le temps s’est immobilisé. Je savais la contraction du temps ou sa dilatation. Je dis les mots qui remirent le temps en marche.
« Celui dont le savoir est immense » s’approcha de nous pendant que tous reprenaient leurs esprits. Il me salua comme « Celui qui parle pour lui ». Itakamaya vint me serrer dans ses bras. Même si je savais pourquoi et comment, cela fut étrange de serrer contre moi un gaillard plus grand que moi. Puis Syltakan se blottit dans mes bras en pleurant de joie.
Voilà plus de trois décades que les faits sont arrivés. Je vais finir cette lettre pour la donner au porteur qui repart vers la colonie.
Je sais ce qui va arriver. Je vais détruire l’Empire. Je sais qu’en écrivant cela l’empereur va prendre peur. Il va vouloir combattre. C’est ce qui entraînera sa chute. Je l’écris aussi : seule la paix peut le sauver.
Il faut que tu saches, mais la probabilité pour que cette lettre t’arrive est faible, que ceux que vous combattez dans les marges orientales comme les Uhoms sont des hommes. Ils viennent tous des antiques vaisseaux d’immigration de la première ère. Le lac recouvre les restes d’un très vieux vaisseau colonie. Il s’est écrasé sur Hautmégafine. Il n’y aurait pas eu de rescapés sans la volonté de « Celui qui avance ». Il en a fait les germes de son peuple et lui a donné ce qui fait que vous ne pourrez jamais les vaincre. Je sais que l’Empire essaiera mais l’avenir n’a pas de place pour lui.
Nous nous rencontrerons bientôt, quand tu viendras avec ta flotte dans le système d’Hautmégafine. Pour le moment tu crois qu’un vaisseau de Classe A est indestructible mais sache que quand tout te semblera perdu, que tu seras face à la mort, alors nous nous verrons.
Te serrer contre mon cœur me comble de joie par avance. Pour toi, j’ouvrirai mon âme. Mon désir deviendra ton désir, si tel est ton choix.
Tendrement
Ton Père.
Courrier reçu le 8e jour de la 3e décade du 11e mois de la 83e année de la 3e Ere par porteur Uhom et transmis avec le courrier de la colonie aux autorités compétentes.
Les propos tenus pas le Commandant Médecin Right nécessitent une réponse ferme et une colonisation véritable de cette planète afin d’étouffer toute velléité de rébellion contre l’Empire. Je mets mes forces en alertes, en attendant les renforts promis.
Je ne transmets pas cette lettre à son destinataire, laissant la décision aux services du Gouverneur militaire de la Région 24.
vendredi 22 janvier 2010
lettre ONZE
Le 26e jour de l’année du Hann
Itakamaya grandit comme font tous les enfants de son âge. Il a un regard sérieux qui fixe chacun. Il semble s’interroger sur tout ce qu’il voit et puis d’un coup, il éclate d’un rire communicatif. Nous nous retrouvons alors tous les trois à rire du bonheur d’être ensemble, de la douceur de vivre dans cet endroit. Depuis que je suis sur Hautmégafine, c’est la première fois que je suis dans un lieu presque sans orages. On les entend au loin mais ils ne viennent presque jamais au-dessus du lac. D’après « Celui qui sait », il n’y a pas d’autre endroit comme cela sur Hautmégafine. J’en conclus que nous sommes un couple unique, dans un lieu unique, qui vient d’avoir un enfant unique d’après les oracles. Il y a de quoi me faire gonfler d’orgueil. Pourtant il y a beaucoup d’humilité en moi. L’épisode des orages venant contrarier mon désir de reprendre la route, le manque de réponse des Pierres de conseil, le doute qui habite Syltakan et « Ceux qui savent » font que je reste dans la crainte. Je ne sais pas ce que nous réserve l’avenir.
Depuis deux jours, la période dite de l’accouchement est terminée. Syltakan a repris notre vie courante en main. Les dernières familles venues célébrer la naissance sont reparties. « Ceux qui savent » ne reviendront que sur un signe. Ils sont aussi déstabilisés que nous, car lors de la grande cérémonie du changement d’année qui se fait autour du lac et contre le piton rocheux qui a contenu notre Pierre Commune, les oracles habituels n’ont rien dit. Les Pierres de conseil sont restées silencieuses et ceux qui étaient en transe n’ont pas eu de vision. De mémoire de « Celui dont le savoir est immense » cela n’est jamais arrivé. Je ne sais pas jusqu’où remonte la mémoire à laquelle il fait référence. Avec ce que je sais, je pense que nous sommes dans une tradition orale dont les souvenirs ne peuvent aller à plus de mille ans, mais ici sur Hautmégafine, les choses sont toujours plus qu’il n’y paraît. La structuration en castes plus ou moins initiées rend l’appréciation difficile. Par moment, j’ai l’impression que « Ceux qui savent » font appel à une mémoire commune supportée par une intelligence autre que celle des Uhoms. Est-ce celle du Dieu dont je deviendrais le porte-parole ? Je ne le pense pas. L’esprit de Syltakan est flou sur ce sujet. Il existe en elle le sentiment d’une présence quand nous évoquons la mémoire de son peuple, mais les mots ne peuvent la décrire. C’est là. Tu sais comme j’aime savoir et comprendre. Ce sentiment que je ne peux nommer m’irrite.
Ce matin, Syltakan a décidé que nous devions reprendre les exercices en vue de la prochaine étape de mon initiation. Nous allons donc consacrer une bonne partie de la journée à la méditation et à une certaine ascèse.
Le 65e jour de l’année du Hann
Bien cher Fils,Cela fait un mois que nous avons commencé nos exercices. Après le petit déjeuner, nous nous installons tous les trois sur l’herbe devant le lac, près de la roche fendue. Nous sentons que c’est là qu’il faut que nous soyons. Syltakan qui a une voix superbe, chante un chant d’appel et de louange à Dieu. Puis pendant plusieurs heures nous méditons sur ces paroles-mélodies. Itakamaya babille doucement dans son couffin. Par moment, nos trois voix s’unissent spontanément en un chant qui dit la louange. Je ne sais pas si tu peux imaginer, la langue des Uhoms est une musique, les mots sont des accords, et parfois des symphonies complètes. Quand deux Uhoms parlent, chantent ensemble, le signe de leur accord profond est quand, de deux paroles différentes, on n’en entend plus qu’une qui dit plus que les deux discours séparés. C’est ainsi que des trois accords issus de nos trois gorges, naît un quatrième accord qui dit encore plus que nos mots. C’est une expérience étonnante dont je ne me lasse pas. Sentir en soi le besoin de chanter, et entendre non pas une fusion mais une symbolisation plus grande de l’union de nos voix est un bonheur profond qui me bouleverse chaque jour depuis un mois. Syltakan y voit la marque de l’union de notre famille et de la grâce que Dieu nous accorde. Puis à un moment, Itakamaya exprime sa faim. Syltakan l’allaite alors et nous arrêtons pour ce jour. Je note ce qu'il se passe en moi, et j’essaie de travailler sur les symboles que nos chants ont révélés. J’aime aussi cette activité philosophique. Syltakan me regarde faire en souriant. Ce n’est pas une habitude Uhom que de prendre une idée et de la travailler dans toutes ses dimensions pour essayer de donner sens à ce que nous vivons. Chez les Uhoms, l’action prime. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de réflexion, mais elle ne ressemble en rien à notre enseignement dans les écoles de l’Empire. Ici, il est plus facile de faire comprendre quelque chose à quelqu’un en lui racontant une histoire, qu’en lui faisant un long discours. Elle dit que je suis encore trop homme et pas assez Uhom pour la Rencontre, que ce désir de tout savoir, de tout comprendre est encombrant. Je lui réponds que c’est ma façon de maîtriser ma crainte. Elle me serre alors dans ses bras en me disant : « Fais confiance ! ».
J’explore aussi les environs sur Aïfta. Le lac est le centre d’une vaste cuvette. Devant un tel phénomène on peut évoquer une érosion particulière, le relief autour de la région pourrait permettre cela. Mais la forme arrondie me fait évoquer aussi un impact météoritique ou une explosion. Comme jamais nous n’avons découvert de signes de civilisation connaissant suffisamment de technique pour faire une bombe de cette puissance sur Hautmégafine, et que « Ceux qui savent » n’ont pas dans leurs souvenirs d’évènement catastrophique, je ne crois pas à une explosion. L’impact météoritique me plairait assez. Sur la Terre Origine, c’est comme cela qu’on explique les extinctions massives qui ont permis à l’homme de se développer. J’aimerais bien ce parallèle supplémentaire entre ces deux mondes.
En tous cas, cette cuvette est particulière, la forme du relief tient les orages à distance. Est-ce pour cela que ce lieu est devenu « Chaÿan » ? Les récits de la mémoire collective des Uhoms font référence à ce lieu comme le lieu du commencement.
Je crois que je ne t’ai jamais raconté le récit des débuts selon les Uhoms. Je ne pourrais que te faire un résumé. Le récit complet demande huit heures de chants à huit voix. Certains passages ne sont d’ailleurs compréhensibles que si les huit voix s’unissent pour donner Le Sens. Chacune seule ne pouvant parler du Sacré de Dieu.
Pour les Uhoms, Dieu est « Celui qui avance » depuis avant le temps. Dans l’éternel instant de son présent, « Celui qui avance » eut le désir d’autre chose. A l’intérieur de lui, il puisa les idées et les fit germer. Considérant ce qu’il inventait, il vit que cela était bon à désirer. « Celui qui avance » créa le temps pour fixer le cadre de ce qui était hors de lui et de ce qui était en lui. « Celui qui avance » entra dans le temps. Lui qui était libre choisit d’entrer dans sa création. Il vit alors que sa présence même faisait bouger le temps. Son désir s’affina. Il créa un feu éternel pour entourer le temps, fixant ainsi le début et la fin, afin que nul ne puisse en passer les bornes et ne puisse connaître ce qui est hors du temps. Au sein de ce feu, « Celui qui avance » décida de créer l’espace. Connaissant le début et la fin de toute chose, il fit l’espace immensément grand. Son désir s’affina. Devant la toile noire et immense de la nuit hors du feu, « Celui qui avance » désira. Il fit un pas. De sa main, il prit du feu et pétrit le premier soleil. De son pas, il en fit le tour, semant derrière lui les premières terres. Son désir s’affina. Prenant du feu encore et encore, il fit toutes les étoiles du ciel, chacune à son tour et à sa manière. Courant au milieu de sa création, il répandit toutes les terres, choisissant pour chacune de ses étoiles, les meilleures compagnes. Son désir s’affina. « Celui qui avance » désira une étoile rien que pour Lui, qui lui soit fête quand il la regarderait. Il créa le Soleil qui brille au firmament et dont la lumière nous éclaire. Voulant parer son Etoile de splendeur, il créa Hautmégafine qu’il entoura d’éclairs à sa gloire. Son désir s’affina. « Celui qui avance » voulut des créatures. Sur les mondes, il répandit la vie, pour que la vie le glorifie. Sur Hautmégafine, il créa tout ce qui vit pour être son domaine réservé. « Celui qui avance » vit que sa création était belle, que le temps avait couru comme lui avait couru pour créer toutes choses. Alors « Celui qui avance » désira le repos. Le temps ralentit, pour se mettre à son pas. Son désir s’affina. Que serait sa création sans un esprit pour la contempler et rendre gloire ? « Celui qui avance » créa le premier esprit vivant, le posant sur une terre pour qu’il avance lui aussi. C’est ainsi que fut créée l’intelligence dans le monde. Voyant cela « Celui qui avance » aima ce qu’il avait fait. Parcourant alors l’immensité de l’espace, il créa tous les esprits vivants semblables au premier afin qu’il découvre la vérité et la gloire de « Celui qui avance ». Jetant le regard sur tout cela, il désira créer son peuple pour sa terre. Descendant sur Hautmégafine, il creusa la terre, éloigna un peu les éclairs et fit un berceau pour son peuple. En lui il mit son esprit vivant le plus pur, afin que jamais son peuple n’avance loin de lui. Marchant sur Hautmégafine avec lui, il fixa les lois et donna les premières Pierres de conseil. Suscitant le premier de « Ceux qui parlent pour Lui », il en fit un guide pour son peuple, lui donnant la boisson qui fait voir. Longuement il lui enseigna son désir, créant avec lui un lien que rien ne peut rompre. Puis « Celui qui avance » reprit sa marche au milieu des étoiles, revenant voir comment prospérait son peuple quand le désir lui venait. Le premier de « Ceux qui parlent pour lui » conduisit le peuple dans la première migration. Il désigna « Ceux qui savent » afin d’aider le peuple à ne pas se séparer du désir de son Dieu. Son temps fut long et bénéfique. Sous sa conduite le peuple s’agrandit. Quand le désir de « Celui qui avance » fut de le faire venir près de lui, « Celui qui parle pour Lui » vint se coucher là ou « Celui qui avance » avait creusé la terre. Un seul et grand éclair illumina le ciel d’Hautmégafine. Là où était allongé « Celui qui parle pour Lui », il y avait un lac. Ce lieu fut déclaré « Chaÿan ».
Et c’est là que nous sommes aujourd’hui.
Le poids de la tâche me semble trop lourd. Comment pourrais-je être à la hauteur de ce que les Uhoms mettent dans le concept de « Celui qui parle pour lui »
Le 146e jour de l’année du Hann
Bien cher Fils,Les jours passent sans que d’autres signes soient donnés. La lassitude me prend maintenant souvent. Je doute. Syltakan, toujours solide dans sa foi, montre aussi des signes de fatigue. Plus le temps passe et plus je me persuade de ne pas être celui qu’ils attendent. La vie s’écoule toujours aussi simple et calme. Je ne sais plus rien de la Colonie, ni du reste de l’Empire. Qu’est devenue la guerre ? Que vis-tu ? As-tu encore monté dans la hiérarchie, ou bien es-tu blessé ou mort dans une épave dérivant dans l’espace ? Qui sont vraiment ceux que vous combattez ? Quand je vois les Uhoms, je doute de la justesse de votre guerre. N’y a-t-il jamais de solution en dehors du conflit ? Pourquoi tous ces morts ? Tout ce malheur ? L’Empire ne connaît plus de religion hormis la fidélité à l’empereur et au pouvoir. Les quelques rites qui agonisent encore, ne sont que du folklore incapable de nourrir la spiritualité des hommes. Quand je regarde le monde que j’ai quitté pour arriver ici, je ne vois que recherche du pouvoir et de l’argent. La comparaison avec la vie calme et simple des Uhoms est déchirante pour mon cœur. L’Empire avec tous ses canons et tout son argent, ne fait pas le poids. J’ai vécu plus de richesse en quelques mois sur Hautmégafine qu’en des années au service de l’Empire. As-tu pensé à tout cela ? Je crains que comme moi avant, tu ne sois entraîné dans le maelström de ce qui est à faire, oubliant ce qui doit être vécu. J’en suis à bénir cette punition qui m’a conduit ici. Loin de ce tumulte incessant de faux semblants et de vraie haine, j’ai découvert un havre de paix et si je suis dans le doute aujourd’hui face à ce qui semble m’attendre, je suis dans la paix avec moi. Si ma vie finissait aujourd’hui, elle n’aurait pas été perdue. Ce que je vis donne du sens à tout ce que j’ai vécu. Régulièrement Syltakan me donne à boire un peu de la Boisson qui fait voir, pour que je progresse. Je n’en suis pas sûr car je n’entre pas en transe, mais les souvenirs me reviennent. Je revois ma vie, ce que j’ai vécu. Je me souviens de la première rencontre avec ta mère, de ta naissance comme si cela était arrivé hier. Les sentiments sont là, joyeux ou douloureux remplissant ma vie présente et préparant j’espère l’avenir.
Depuis deux jours un groupe de Uhoms bûcherons a fait halte pour rencontrer Itakamaya. Il est considéré comme un personnage important de Hautmégafine qui nécessite de demeurer en sa compagnie le temps d’une « Salutation d’honneur ». Nous les recevons tous les trois. Itakamaya regarde tout cela de son air grave. Syltakan remplit son rôle de maîtresse d’accueil. Pour tous les Uhoms, même pour « Celui dont le savoir est immense », Itakamaya est déjà le guide de son peuple. Simplement, il n’a pas encore donné de direction à suivre. Comme pour les Uhoms, le temps varie au pas de Dieu, le fait qu’il ne soit qu’un bébé, ne pose pas de question. Il est. Il doit donc recevoir la « Salutation d’honneur » de tout Uhom qui passe à proximité. Ma position est beaucoup plus ambiguë. Les Pierres de conseil ne sont pas claires sur mon rôle. Tant que je serai « Celui qui vient », je serai considéré comme un autre et n’aurai droit qu’à ce que tous ont droit sur Hautmégafine.
Je vais leur confier cette lettre pour que de relais en relais, elle arrive jusqu’à toi.
Tendrement.
Ton Père
Courrier reçu le 9e jour de la 2e décade du 12e mois de la 82e année de la 3e Ere par porteur Uhom et transmis avec le courrier de la colonie.
Mon analyse de la situation que je joins à ce document, m’impose de demander l’envoie de troupes et de renforts adaptés à la situation d’Hautmégafine. Les propos tenus par le Commandant Médecin Right sur l’empire et ce qui est dit sur l’enfant métis qu’il a eu avec cette autochtone font craindre l’apparition d’un leader capable de fédérer et de conduire à la révolte ce peuple Uhom dont on ne connaît pas les capacités réelles. Une copie est faite pour le commandement de la région militaire.
Signé le commandant.
jeudi 21 janvier 2010
Lettre DIX
Le 112e jour de l’année du Cainn
Bien cher Fils.
Je ne connais plus la date dans le calendrier standard. J’ai perdu le compte des jours alors maintenant que je sais, je vais me référer au calendrier Uhom.
Cela fait trois décades que « Celui qui sait » est parti avec ma dernière lettre.
Je pensais qu’une fois notre Pierre Commune découverte, nous reprendrions la route. Il n’en est rien. Syltakan a fait plusieurs fois la cérémonie du lancer des Pierres de conseil. Elle a été chaque fois un peu plus perturbée par leur manque de réponse. J’ai aussi fait la cérémonie sans plus de succès. Je n’ai pas de référence sur le fonctionnement de ces augures, cela ne m’a pas trop gêné de ne pas être capable de m’en servir. Syltakan n’avait jamais vécu de lancer sans réponse. Si je comprends bien ce qu'il se passe, il y a dans le signe que donnent les pierres un fait et son contraire. Elles conseillent de partir et de rester.
Comme nous ne savons quoi faire, nous vivons notre lune de miel autour de ce lac, près de la roche qui renfermait notre Pierre Commune. Le temps est très clément. Nous n’avons pas eu un seul orage depuis trois décades. Nous les entendons au loin, mais ils ne viennent pas jusqu’ici. Je bénis la providence qui nous permet de vivre comme si nous étions seuls au monde.
Ces Pierres de conseil sont étonnantes. Une fois sorties du sac, elles ne semblent que colorées et inertes. Au cours de la cérémonie du lancer, elles deviennent chaudes voire brûlantes dans la main au point qu’on ne peut les garder. Il faut les jeter sous peine de se brûler les paumes. Une fois à terre, (il ne faut pas les lancer sur une table) elles scintillent. De leurs positions les unes par rapport aux autres et des lumières qu’elles exposent, le Uhom tire un enseignement pour diriger son avenir. On peut soit s’en servir de manière très terre à terre, leur laissant le soin de tout décider, soit on peut leur demander de ne donner que quelques orientations, en posant une question précise. Ce n’est pas la même démarche. Le déroulement n’est pas le même, cela s’appelle la cérémonie de la demande. Leur réponse est rarement oui ou non dans ce cas précis, j’emploierais l’expression « plutôt oui ! » ou « plutôt non ». Le choix final reste à celui qui a fait le lancer.
Je t’explique tout cela pour que tu comprennes ce dont je voulais te parler.
Ce matin, Syltakan a fait une cérémonie du lancer en demandant si nous devions partir. Je me suis associé à elle pour que nos Pierres de conseil soient lancées ensemble. Cela renforce leur pouvoir. Ce fut la catastrophe. Les Pierres ont refusé de répondre. Ou plutôt, elles n’ont pris aucune chaleur. Nous les avons lancées quand même, sans résultat. Leur position au sol était aléatoire et sans signification. Syltakan s’est effondrée en larmes dans mes bras. Pour elle, cela n’a aucun sens. C’est la première fois qu’elle vit un temps sans réponse.
Nous sommes restés ainsi des heures, enlacés.
Elle est maintenant calmée et s’est endormie.
Je trouve curieux cette confiance absolue qu’elle a développée envers les Pierres de conseil. Quoiqu’en y réfléchissant, c’est un confort extraordinaire que de suivre simplement sans avoir de décisions importantes à prendre. Je me demande si ce n’est pas là le véritable pouvoir sur Hautmégafine. Toutes les familles possèdent un jeu de Pierres de conseil et rares sont ceux qui font la cérémonie de la demande. Malgré mon savoir encore neuf de jeune marié, je ne sais ni d’où elles viennent, ni comment elles sont faites.
Le 142e jour de l’année du Cainn
Bien cher FilsJe pensais bien faire en prenant la décision de quitter le lieu de notre initiation de mariage. Syltakan ne comprenant pas ses Pierres de conseil, j’ai décidé pour nous deux. J’ai attelé le traîneur, préparé le chariot, et rangé les affaires pour le voyage. Syltakan en a profité pour prendre un bain, un dernier m’a-t-elle dit.
Je sais maintenant comment les traîneurs obéissent. Cela fait partie de ces connaissances que j’ai reçues lors de mon initiation de mariage. En fait, ils ont une sorte de télépathie naturelle qui leur permet de savoir ce que veut leur maître. Cela vient de leur éducation. Il y a sur Hautmégafine des éleveurs qui sont chargés de leur apprendre non plus à sentir et à suivre les désirs du chef de la harde mais à suivre les désirs de leur maître Uhom.
Nous étions montés à bord, le traîneur commençait à s’ébranler quand un orage est arrivé. Je t’avais dit que nous avions été épargnés par les éclairs ses dernières décades. Mais ce jour là, ils furent particulièrement violents et nombreux. Les traîneurs sont des bêtes placides et tranquilles. En cas d’orage, ils savent s’éloigner des arbres ainsi que de points dangereux. Une fois là, ils ne bougent plus jusqu’à la fin de la perturbation sauf quand les orages durent trop. Celui-là a duré trois jours. Dès les premiers éclairs j’ai libéré le traîneur afin qu’il puisse bouger si besoin. Nos chariots sont construits de telle sorte qu’ils font cage de Faraday. C’est le meilleur refuge pour nous.
Ces trois jours d’intimité ne nous ont pas paru très longs. L’orage s’est éloigné petit à petit. Nous avons laissé passer quelques jours puis j’ai ré attelé le traîneur. L’orage est arrivé avant même que j’aie fini. De nouveau nous nous sommes abrités des éclairs. Cela a duré cinq jours pleins.
Deux essais, deux orages, deux échecs, nous avons interprété cela comme la volonté de Dieu de ne pas nous laisser reprendre la route. Etant toujours aussi marqué par mon désir de preuve scientifique, j’ai voulu faire une troisième tentative. Il a suffi que j’attrape le traîneur et que je commence à l’équiper pour que les premiers éclairs claquent. Je l’ai libéré aussitôt. Tout s’est calmé.
Si les Pierres de conseil ne disent rien, je trouve que ce Dieu a un bon sens de l’humour.
Nous nous sommes ré installés à côté du lac en nous disant que si nous ne savions pas ce que nous devions faire, un Autre le savait. Il saurait bien nous le dire en temps voulu. Syltakan penche pour une étape initiatique supplémentaire. J’avoue ne pas trop savoir. Initiation ou attente d’un évènement extérieur, j’attends sans crainte et avec curiosité. Je reste ouvert à l’inconnu, à lui de nous surprendre et de nous séduire.
Le 189e jour de l’année du Cainn.
Bien cher Fils. J’attendais une surprise, elle fut de taille. Syltakan est enceinte !
Tu ne peux savoir le choc que cela m’a fait au cœur quand elle me l’a dit. J’ai dû m’asseoir.
Notre vie a été bouleversée. Depuis qu’elle sait, elle passe de long moments serrée contre moi, afin que je participe à l’attente comme elle. Je l’ai interrogée, c’est effectivement la coutume au moins pour le premier enfant.
Cela remet en cause ce que je pensais. Les Uhoms et les hommes ne sont pas deux espèces, mais au plus deux branches d’une même espèce. Si les hommes ne sont pas féconds sur cette planète, les Uhoms le sont et le croisement d’une Uhom et d’un homme l’est. J’échafaude les hypothèses les plus folles. Syltakan m’écoute, me donnant son avis. Ne crois pas qu’elle soit ignorante de l’Empire. Lors de nos unions, nous partageons tellement, qu’elle sait ce que je sais et que je connais ce qu’elle connaît. C’est d’ailleurs étrange. Dans mes souvenirs et mes connaissances, elle a privilégié certaines choses et en a négligé d’autres. J’ai fait de même. La vision du monde est différente d’un sexe à l’autre. Nos conversations se nourrissent de tout cela. Elle défend une origine différente pour son peuple. Pour elle, Dieu a créé le monde de telle sorte qu’il ne peut qu’aboutir à la création de l’espèce Uhomaine (comme elle dit). Comme il y a des milliards de mondes, il est normal que la vie soit apparue à différents endroits. J’aime sa théorie mais une autre me tente beaucoup. Seule la Terre Origine a vécu les événements qui ont permis l’émergence de la vie humaine. La paléontologie a bien montré qu’il a fallu une série d’extinctions catastrophes pour faire notre espèce. Bien sûr la vie a pu apparaître sur d’autres mondes, mais seule la Terre Origine est le berceau de l’espèce. Durant la première ère, alors qu’on croyait la Terre Origine sur le point de mourir, des milliers de vaisseaux colonies sont partis. Beaucoup ont disparu dans l’infini sans donner de nouvelles. L’Empire par sa politique d’expansion, a retrouvé les traces de ces vaisseaux. Pour certains, il n’y avait que des épaves, pour d’autres une planète habitée et parfois tout un système. Quand à la guerre qui fait rage dans les marges orientales, elle n’opposerait pas deux races, ni deux espèces semblables issues de la nécessité voulue par Dieu, mais elle mettrait face à face les descendants d’un ou plusieurs de ces vaisseaux colonies avec les descendants de ceux qui sont restés sur la Terre Origine.
La nouvelle de notre grossesse n’est pas restée ignorée. Les Uhoms qui nous ravitaillent l’ont fait circuler. « Celui qui sait » est venu. Nous lui avons raconté la suite des évènements. Comme Syltakan, il ne comprend pas que les Pierres de conseil ne disent rien, ni pourquoi nous ne pouvons bouger d’ici. Ce sont des faits exceptionnels. Il est reparti vers le Nord pour rencontrer ses compagnons « Ceux qui savent » et « Celui dont le savoir est immense » qui est l’autorité morale sur Hautmégafine.
En fait nous campons dans la clairière de la rencontre de la fête du début de l’année. « Ceux qui savent » se réunissent tous pour fêter le « Jour du Commencement » qui est le premier jour de l’année. C’est le jour qui sert à initier les nouveaux membres et à refaire le lien spirituel entre eux tous. C’est ce que j’ai compris du discours qu’il nous a tenu. Bien que ces connaissances ne soient pas révélées lors de l’initiation des mariés, « Celui qui sait » a jugé nécessaire de me les dire. Notre lieu de résidence actuel est trop chargé de sens à ses yeux pour que nous soyons dans l’ignorance.
Le 276e jour de l’année du Cainn
Bien cher FilsSyltakan a accouché, il y a quelques jours. C’est un garçon.
A l’approche de l’évènement, sont arrivés « Ceux qui savent » ainsi que les femmes qui aident à la naissance. Notre lieu de campement comprend maintenant une dizaine de chariots. C’est exceptionnel de voir autant de monde pour une naissance. L’habitude Uhom nécessite une sage-femme et c’est tout. On appelle « Celui qui sait » quelques jours plus tard pour la cérémonie d’introduction de l’enfant dans le cercle du peuple des Uhoms. L’enfant reçoit alors son nom d’enfant. Ce nom changera parfois pendant l’enfance puis à l’adolescence. Le nom donné est important. Pendant la cérémonie, « Celui qui sait » le chante seul une première fois, puis une deuxième fois avec la mère puis une troisième fois avec le père. L’enfant est alors présenté par le père à ceux qui sont autour et c’est tout le monde qui chante le nom. Dans les harmoniques, on retrouve pour celui qui sait entendre, les noms des parents voire des grands-parents pour certains enfants que les Pierres de conseil ont désignés pour un rôle spécifique.
L’accouchement s’est bien passé. J’y ai assisté et j’ai même participé. Cela a étonné la sage-femme, sans plus. Pas de refus de sa part, elle a su partager son rôle avec moi sans problème. Mon émotion a été d’autant plus intense que plus je connais les Uhoms et plus je pense qu’ils sont comme les hommes. La grossesse a la même durée, la physiologie de l’accouchement est la même. Cela fait trop de coïncidences. Reste le mystère de la présence d’une lignée humaine sur Hautmégafine. J’ai interrogé « Ceux qui savent » sans résultat. La culture orale ne remonte pas aussi loin. Mon titre de « Celui qui vient » m’a bien aidé car dans cette civilisation initiatique, il n’est pas normalement possible de divulguer ces connaissances. Seuls « Ceux qui savent » les connaissent et encore pas toutes. « Celui dont le savoir est immense » est dépositaire de toutes les traditions.
Comme je te l’ai dit, plusieurs de « Ceux qui savent » sont venus. Les Pierres de conseil qui se refusent toujours à communiquer en ma présence, ont accepté de parler. Cet enfant qui vient de naître a reçu le nom de Itakamaya, tu peux traduire cela par « Celui qui guide, fils de Celle qui est là et de Celui qui vient, de la lignée des … » je ne vais pas tout écrire, car sont cités trois générations. Le plus étrange est que mes parents et grands-parents sont aussi inclus dans le nom d’Itakamaya. Il sera « Celui qui guide ». Quand j’ai demandé ce que cela voulait dire, « Ceux qui savent » ont été embarrassés. Eux qui d’habitude ont réponse à tout, en sont réduits aux hypothèses. Les Pierres de conseil ont nommé notre fils, mais refusent de répondre aux questions sur son avenir et sur l’avenir d’Hautmégafine.
Syltakan ne dit rien, elle semble trouver cela normal. Les Pierres de conseil lui ont révélé, il y a longtemps, que son enfant, que notre enfant ferait de grandes choses pour les Uhoms. Elle n’en sait pas plus, sa foi confiante dans le Dieu qui la guide lui suffit. Je le sais bien. Nos unions me font rentrer en contact avec cette partie d’elle. Ne crois pas qu’elle ne connaisse pas le doute, mais tout au fond d’elle, il y a une telle expérience de rencontre intérieure avec son Dieu qu’elle vit dans la certitude que sa main la conduit. En elle, ce souvenir est un soleil irradiant qui me touche au-delà de ce que les mots peuvent traduire. Je pense que ce partage quasi absolu de nos êtres fait partie de mon initiation. Je ressens au fond de moi, un sentiment étrange, une prémonition. Je sens, je sais que je dois recevoir une révélation et qu’il faut que je m’y prépare. Syltakan partage aussi ce sentiment. Ce matin, elle m’a annoncé que dès la fin de la période d’accouchement, quand nous aurons repris notre vie habituelle, nous commencerons une série d’exercices comme ceux que nous avions fait pour notre Pierre Commune.
Elle est curieuse d’ailleurs cette pierre. Elle est plate, grande comme une petite table, translucide comme un cristal, sa couleur interne est un mélange curieux d’or, de rouge et de marron. Il faut que nous soyons deux pour la bouger, son poids est trop important pour une seule personne. Jusque là pas de quoi attirer l’attention. Bien sûr elle est jolie, mais ce qui la rend différente est l’apparition d’irisations en son sein. Elle est franchement or quand Syltakan approche et plutôt ocre quand c’est moi. Si nous sommes tous les deux, elle irradie une douce lumière changeante, où, en plus de l’or et de l’ocre apparaît du bleu profond presque noir parfois. Sur Hautmégafine où tout est signe, tu penses bien que les couleurs ont aussi une symbolique. Je te passerais la symbolique des ors et des ocres pour ne te parler que du bleu. Pour « Ceux qui savent », il s’agit du signe de Dieu, de sa présence, de son engagement dans notre histoire.
Entre ce que révèlent les Pierres de Conseil, ce que clame notre Pierre commune, et ce que vit Syltakan en son for intérieur, je me sens porté vers un choix dont je ne sais encore rien, mais dont je sens qu’il engagera plus que moi (Hautmégafine ?, l’Empire ?, l’univers ?)
Une sage-femme repart vers la Colonie. Je lui confie cette lettre.
Que la bénédiction qui nous touche, te soit profitable.
Tendrement.
Ton père
Courrier reçu le 6e jour de la 6e décade du 6e mois de la 82e année de la 3e Ere par porteur Uhom et transmis avec le courrier de la colonie.
Je renouvelle mon appel aux autorités compétentes concernant cette lettre. Une copie en sera faite pour le commandement de la région militaire. Les propos tenus sur l’origine de autochtones, la naissance d’un métis en violation avec les lois sur le non mélange avec les races non humaines nécessitent que soient prises des décisions fermes. J’attends les instructions nécessaires
Signé le commandant.
mercredi 20 janvier 2010
Lettre NEUF
Le : je ne sais pas peut-être le 15e mois de la 81e année de la 3e Ere.
Bien cher fils.
Moi qui partais pour voyager quelques décades en pays Uhom, me voici embarqué dans une aventure dont je ne peux imaginer la fin. Tous les Uhoms me connaissent. Maintenant à chaque halte du soir nous sommes accueillis par un groupe qui chante notre histoire. Syltakan n’est pas aussi jeune qu’il m’avait semblé la première fois et les récits chantés dont tu ne peux imaginer la beauté et la plénitude racontent comment dès avant sa naissance les Pierres de conseil (je crois t’avoir parlé déjà une fois de ces pierres colorées qui servent à discerner les signes) les Pierres de conseil donc l’avaient désignée aux parents de ses parents pour être celle qui serait avec « Celui qui vient » si tel était son désir. Ne crois pas que ce que disent les Pierres soit écrit dans le ciel, mais pour les Uhoms il y a davantage de bien à suivre leurs conseils qu’à ne pas les suivre.
Les chants rendent gloire à cette suite de désirs entremêlés qui ont abouti à la cérémonie du choix où dans la transe de la « boisson qui fait voir » nous nous sommes rencontrés, et où nos désirs ont concordé.
Ce jour de la cérémonie est devenu un jour « Chaÿan », un jour qui se fête. Je me sens investi d'une responsabilité à penser que cela repose sur moi. Je ne vois pas ce qui me différencie des autres. Les chants me concernent aussi. Ils ne parlent pas de mes choix, mais de la main du Dieu sur moi. Les Uhoms croient en un Dieu qui les guident de multiples signes dont les Pierres, mais qui intervient parfois pour prendre sous sa protection et sous sa direction un homme dont il fait son prophète. Et je suis « Celui qui vient » c'est-à-dire le prophète qui parle pour Dieu.
J’essaye de dire que je ne sais pas, que ce n’est pas possible, que je ne suis qu'un pauvre humain sans pouvoir ni puissance. Mais ils sourient à mes dénégations en répondant que « Dieu y pourvoira ».
Syltakan me dit de ne pas avoir peur. Que j’ai encore des initiations et des étapes à passer avant d'être « Celui qui parle pour Lui » et qu'elle est à mes côtés pour être une aide que me soit assortie.
Je vais essayer d’écrire au fur et à mesure du temps qui passe comme un journal même si je m'adresse à toi, bien cher fils, pour ne pas perdre pied et pour prendre du recul par rapport à tous ces événements.
Tendrement.
Ton père.
Une ou deux décades plus tard.
Bien cher fils.
Je crois que notre première étape prend fin. Nous sommes arrivés au bord d'une grande cuvette dans la plaine. Au fond il y a des bois, au centre un lac. Syltakan était en joie en voyant cela. C’est, dit-elle, le lieu de notre prochaine étape. Nous allons devenir époux. Mais avant il nous faut trouver une pierre. Elle dit avec beaucoup de déférence « la Pierre Commune ».
Toute famille sur Hautmégafine possède ainsi une pierre qui sert symboliquement de fondement au foyer. La plupart du temps c’est une pierre ramassée à deux après avoir médité et cherché ensemble. La découverte de la pierre commune permet au couple de passer l’initiation au mariage puisque ici tout est initiation et de prendre la route de l'Est.
Nous nous sommes installés pour quelques temps. La recherche de La Pierre Commune peut demander du temps. La région où nous sommes est peu occupée. En fait Hautmégafine est surtout peuplée sur une large bande autour de l’équateur de la planète. Les gens se déplacent durant leur vie d’un côté à l’autre du continent. Seuls les jeunes qui deviennent autonomes, lors de leur initiation de passage à l’âge adulte sont ramenés vers l’Ouest. Ils se réveillent dans la région proche de l’océan, loin de leurs familles qui continuent vers l’Est. Je n’ai pas encore compris comment ils pouvaient apprendre tout ce qui était nécessaire. Les rites initiatiques semblent être le lieu des apprentissages. Avec l’aide de la « boisson qui fait voir », le cerveau Uhom, ou le mien d’ailleurs, semble apprendre sans effort tout un savoir comportemental à défaut de théories. Pour le moment Syltakan ne veut pas me dire ce qu’elle sait sur après. Son savoir est supérieur à celles de sa classe d’âge. Une femme avant le mariage ne sait pas comment doit se comporter une femme mariée, quel que soit le plan considéré, y compris sur la sexualité. Syltakan a reçu des initiations que les autres n’ont pas eu depuis la cérémonie du choix de l’élection, car son rôle d’aide à « Celui qui vient » nécessite plus de connaissances que la moyenne.
Notre cérémonie de recherche de la Pierre nous a conduits dans un lieu peu fréquenté, hormis par des familles de bûcherons. Le lieu même où nous sommes est un lieu « Chaÿan ». Personne ne vient ici couper les arbres, seuls viennent « Ceux qui savent » pour des rites rares et solennels. Nous serons donc seuls pour méditer et trouver notre Pierre Commune.
3 décades plus tard.
Bien cher fils,
Syltakan commençait à désespérer. Voilà trente jours que nous cherchions sans succès cette Pierre. Malgré les temps de méditations, les prières, les longues promenades pour aller voir tous les cailloux du coin, nous ne trouvions rien. A nos yeux, si les pierres rencontrées pouvaient être belles, aucune ne déclenchait en nous cette reconnaissance intime, cette certitude d’avoir trouvé.
Le rite de chaque jour était établi. Le lever et le premier repas pris, nous nous mettions en méditation pendant deux heures. Puis en fonction du ressenti de chacun nous prenions une direction pour notre marche. La main dans la main nous avancions cherchant des yeux et du cœur un signe qui nous guiderait vers la Pierre. Chaque soir a amené une déception. Syltakan depuis une décade, a décidé qu’il serait bon d’avoir une ascèse pour nos corps. De la voir à côté de moi, vivre naturellement, parfois nue, dans une totale innocence, sans pouvoir faire l’amour avec elle me semblait déjà complètement surhumain. Maintenant en plus nous jeûnons. Chaque jour, elle a réduit nos portions. Depuis trois jours, nous n’avons rien mangé, seulement bu.
Ce matin comme si cela ne suffisait pas, elle a ressenti la nécessité d’une plus grande communion avec la nature. C'est-à-dire que nous nous sommes assis face à face, nus, pour notre méditation. Heureusement le temps était clément et la température douce. Je ne sais pas ce qui occupait son esprit, mais le mien était perdu dans la contemplation de ses formes. Au bout de deux heures, pour ne pas commettre l’irréparable avant le temps voulu, je lui ai proposé non pas de marcher mais de prendre Aïfta pour notre recherche. Elle n’a pas proposé de se rhabiller. Je n’ai surtout rien dit. J’ai appelé l’alcent. Une fois sur son dos, j’ai aidé Syltakan à prendre place. Elle a choisi d’être devant moi. Pendant la course, pour qu’elle ne glisse pas, je l’ai enlacée. Aïfta aurait pu courir des heures sans que je m’en plaigne. Il s’est arrêté au bord du lac, sur une pelouse naturelle protégée par un piton rocheux. Nous sommes descendus.
Autour de nous, pas un caillou, mais la rive bien agréable du lac. Syltakan a proposé d’aller dans l’eau. Elle a plongé tout de suite, ne réapparaissant que de longues secondes plus tard. Je ne sais si sa proposition était pour chercher une pierre au fond ou pour éviter un acte prématuré. Mon esprit était vide de tout de qui n’était pas son corps. L’eau m’a fait du bien. A notre sortie nous nous sommes assis, face à face, les mains dans les mains. Elle m’a regardé dans les yeux. Je n’ai pas osé regarder ailleurs. Nous sommes restés là sans bouger, nus, sur la pelouse à nous sécher au soleil.
Le temps ne comptait plus, nos regards entrecroisés parlaient d’amour.
Cela aurait pu durer sans l’orage.
Nous avons été d’autant plus surpris qu’inattentifs. Les premiers éclairs touchèrent l’eau du lac dans un bruit de fin du monde. Nous fûmes debout en un instant, cherchant des yeux un abri. Un éclair trop proche, précipita Syltakan dans mes bras. Déséquilibrés, ce fut la chute. Le contact de nos deux corps nus fut insupportable. Malgré l’orage, nos désirs brisèrent toutes les barrières. Nous fumes unis sans même savoir consciemment ce que nous faisions. Au même moment un éclair foudroya le piton rocheux tout proche.
Le temps cessa d’exister. L’union se fit de nos corps, de nos cœurs, de nos esprits. Jamais je n’avais, nous n’avions connu cela. Je connaissais Syltakan comme elle se connaissait. Elle me connaissait comme je me connaissais. Son amour au mien uni semblait brûler en nous tout ce qui nous séparait.
Quand nous avons repris conscience, l’orage avait cessé. Devant nous, le piton rocheux foudroyé, cassé en deux laissait voir une lueur que je savais, que nous savions être notre Pierre Commune.
Nous sommes rentrés. Aïfta nous portait. Syltakan serrait sur sa poitrine notre Pierre et je serrais Syltakan.
Elle m’a dit que notre cérémonie d’union avait été choisie par Dieu. C’est ainsi qu’elle interpréta ce qu'il s’était passé. Elle savait par les Pierres de Conseil que notre initiation au mariage serait autre mais n’avait pas imaginé cela ainsi.
Ce matin, nous avons intronisé la pierre dans notre chariot maison. Puis nous avons pris notre premier repas d’époux. C’est un repas spécial comportant certains plats particuliers, mélange de sucré et d’amer, de froid et de chaud.
En moi, la connaissance a progressé. Je connais maintenant le quotidien d’Hautmégafine. Je sais les gestes et les paroles à dire suivant les circonstances comme si j’étais un Uhom. Je n’ai pas, pour autant désappris ce que je savais. Je me sens homme et Uhom. C’est une expérience étrange.
« Celui qui sait » est venu. Nous l’avons accueilli comme il se doit. Ma parole est maintenant déliée. Je sais enfin parler comme un Uhom. Les signes lui ont appris notre initiation. Il est venu m’apporter un jeu de « Pierres de conseil », pour m’aider dans mes choix futurs.
Je lui ai donné cette lettre pour qu’il la transmette à la colonie.
Je ne sais pas l’avenir, mais je ne crains plus. Je sais maintenant que quel que soit le nom qu’on peut lui donner, Dieu est avec moi.
Tendrement.
Ton père.
Courrier reçu le 3e jour de la 8e décade du 15e mois de la 81e année de la 3e Ere par porteur Uhom et transmis avec le courrier de la colonie.
J’attire l’attention des autorités compétentes sur cette lettre. Une copie en sera faite pour le commandement de la région militaire.
Signé le commandant.
mardi 19 janvier 2010
Lettre HUIT
8e jour de la 10e décade du 4e mois de la 80e année de la 3e Ere.
Bien cher fils.
J'ai mis cette date, mais je ne suis pas sûr. Je ne suis plus sûr de rien d'ailleurs. J’ai franchi un pas tellement décisif que je ne sais pas ce qu'il va en résulter.
Je te parlais dans ma dernière lettre des nouveaux arrivants. Leur espoir était une grâce de l’empereur. Elle n’est malheureusement pas venue. Cela a gâché les pauvres fêtes du changement d’année et de l'ouverture du jubilé de l'empereur.
Le capitaine médecin qui travaille avec moi et le commandant ont adhéré à mon projet de voyage d’exploration et d'études systématiques des ressources de la planète.
Nous avons mis au point un projet ambitieux vu nos moyens. Grâce à la bonne gestion du commandant, les astronefs n’ont pas connu de panne ce qui améliore grandement nos relations avec l’extérieur. Nous ne sommes qu'à une décade de la station orbitale, des nouvelles, du matériel. Bref si tout va bien comme cela, nous allons pouvoir faire une campagne d’analyse et de mesures qui donnera un but à notre colonie. Autre progrès majeur, un des techniciens arrivés dans le dernier contingent a réussi à bricoler un satellite capable de prédire les orages avec douze heures d'avance. Cela nous a donné un confort certain, pour protéger le matériel et si tout va bien le commandant parle même de faire installer des antennes pour la radio voire plus si nous arrivons à bricoler les fibres optiques.
Pour revenir à notre projet, le commandant se chargerait de l’exploration locale et de celle à grande distance c'est-à-dire des satellites avec l’aide du médecin capitaine et des techniciens. Je me chargerais d'une première mission d'exploration lointaine de plusieurs mois pour mieux appréhender la réalité d’Hautmégafine.
Enfin c'était le beau projet du début de l’année pour donner un but à tous ces pauvres gens déçus de ne pas avoir été graciés.
Au début tout a bien marché. Le plan de développement du projet et de sa réalisation nous a pris tout un mois. Les soldats étaient plutôt contents d'échapper aux exercices militaires dont ils ne voient plus l’intérêt pour se lancer dans une aventure avec un grand A.
Le médecin capitaine a décidé d’apprendre la langue des Uhoms à un certain nombre de façon à pouvoir communiquer plus facilement et à permettre que je puisse partir.
Nous avons aussi préparé mon voyage. J'ai révélé l'existence de mon alcent, mais celui-ci a refusé d'approcher tant que je ne suis pas seul. Il a donc été décidé que je partirais seul avec peu de bagages pour quelques décadences dans un premier temps et au plus pour deux mois. La question de la nourriture a été vite réglée puisque je pense acheter ce dont j'ai besoin.
Je me suis muni de petites pièces de titane qui semblent être celles qui ont le plus de valeur aux yeux des Uhoms. Je suis parti à la fin du deuxième mois.
C’est là que tout s’est compliqué.
Le départ fut simple. J’ai retrouvé Aïfta qui a semblé particulièrement heureux de me voir avec mon sac à dos. Nous somme partis vers l'Ouest comme prévu. Le plan initial prévoyait que je fasse trois jours de route vers l'Ouest puis deux au Nord, six vers l’Est, deux au Sud et que je rentre. J’avais toute confiance en Aïfta pour réussir un tel parcours.
Ce jour-là, il a couru presque toute la journée mais vers le Nord-Ouest. Chaque fois que je voulais le remettre à l'Ouest, il m’obéissait dans un premier temps pour repartir vers le Nord-Ouest après. Prêt à toutes les découvertes, je l’ai laissé aller là où il voulait.
C'est à l’arrivée que tout a dérapé.
Dans une clairière Aïfta s'est arrêté près d'un groupe d'une vingtaine de personnes, tous jeunes, hommes et femmes ensemble. Ils m’ont fait une ovation. « Celui qui vient arrive » était répété sur tous les tons. Je sentais en eux joie et excitation. Je suis descendu de mon alcent. Ils se sont mis sur deux rangs battant des mains, poussant des cris de joie : « L'élection... L'élection... » Je me suis engagé dans l'allée ainsi formée souriant béatement en me demandant la signification de cet accueil. C’est à ce moment-là que je l’ai vue.
Tu ne peux imaginer le choc que j’ai ressenti. Devant moi, ta mère était là ou plus exactement une jeune Uhom qui ressemblait à ta mère. Je me suis arrêté sur place, sidéré de voir cette ressemblance, sourd à tout ce qui était autour.
La jeune Uhom s’est avancée vers moi, a tendu les mains, a pris les miennes.
« Aujourd'hui, « Celui qui vient », est le jour du choix de l'élection. Acceptes-tu « Celle qui est là » comme aménijka ?».
J’ai répondu oui dans ma langue mais le sens a été compris car les cris ont redoublés.
Nous nous sommes retrouvés avec une couronne de fleurs et de feuilles sur la tête. On m’a débarrassé de mon sac à dos. On nous a fait asseoir de part et d’autre d'une pierre plate qui sert de table. Syltakan : « Celle qui est là », ne m’a pas lâché les mains. Je ne pouvais détacher mon regard de sa beauté. Quelqu'un a posé une coupe entre nous et un gâteau.
Syltakan a dit :
« Prends de ma main, mange et bois que nous soyons aménijka. Puis de ta main, donne moi que je mange et que je boive que nous soyons aménijka »
Notre échange de nourriture et de boisson s'est passé dans un silence complet. Le groupe autour de nous s'était rassemblé, les hommes derrière moi et les femmes derrière Syltakan. De nouveau ce breuvage au goût si particulier et ce gâteau m’ont plongé dans une torpeur et un sommeil peuplé de rêves étranges.
Je me suis réveillé, nu, couché à côté de Syltakan, nue. Mais sachant des vérités que personne ne m’avait dites. Nous sommes aménijka, ce qui correspond à peu près au terme de fiancée chez nous. Ici cela a une connotation religieuse que nous ne connaissons pas. En fait c’est déjà la première étape du mariage. Syltakan et moi allons vivre ensemble. Pour symboliser la rupture avec le temps d’avant, les fiancés boivent et mangent ce qui les endort. Alors ils sont dévêtus, mis côte à côte et on leur amène un chariot et des affaires qui n'ont jamais été portées.
Je sais qu'elle ne peut encore se donner à moi, ni moi à elle. Cela viendra... En son temps.
Syltakan est belle. Se réveillant à son tour et me voyant penché sur elle, elle m’a embrassé et est partie s'habiller. Je me suis fait l’effet d’un ours.
Devant nous un traîneur jeune, un chariot habitation neuf, des vêtements. Nous étions seuls dans la clairière, comme au premier matin du monde.
Les jours qui ont suivi m’ont permis de mieux comprendre. Je ne sais comment mais ma connaissance de la langue a progressé. Syltakan et moi pouvons parler dans la langue Uhom presque facilement.
Ce qui m’est arrivé aujourd'hui est en fait mon deuxième niveau d'initiation d’homme. Le premier je l’ai vécu avec le groupe de jeunes hommes, il y a quelques mois. Pour les Uhoms et pour elle, je suis « Celui qui vient », qui vient pour accomplir une prophétie. Depuis qu’elle est jeune, elle a su qu'elle serait aménijka avec moi. D'ailleurs, elle a passé plusieurs fois l'initiation des jeunes filles avec l’initiation du choix sans trouver de compagnon. Maintenant que je suis là, elle est persuadée qu'elle atteindra la plénitude.
Nous faisons route vers là-bas, comme elle me dit, lieu du prochain pas. A la vitesse du traîneur, cela va prendre du temps. Nous marchons vers le Nord, elle m’enseigne tout ce qu'il est bon que je sache sur Hautmégafine.
J’ai confié cette lettre à un Uhom qui doit la porter à l’astroport pour qu’on te la remette.
Tendrement.
Ton père.
Courrier reçu le 5e jour de la 3e décade du 5e mois de la 81e année de la 3e Ere par porteur Uhom et transmis avec le courrier de la colonie. Signé le commandant.
lundi 18 janvier 2010
Lettre SEPT
4e jour de la 8e décade du 11e mois de la 80e année de la 3e Ere.
Bien cher fils.
Voilà trois ans qu'aucune nouvelle ne vient de toi ou de la famille. Soit je suis oublié, soit les rouages du pouvoir ont décidé de laisser Hautmégafine en dehors du monde civilisé.
Un nouveau détachement est arrivé avec à sa tête un commandant et un autre médecin, qui n’est que capitaine. Il s'agit d’un groupe constitué. C'est la première fois que cela arrive. Si j'ai bien compris, leur comportement aux combats dans les marges orientales n'a pas plut et ils ont été condamnés à cet exil.
Le commandant est très amer. Il voulait, il rêvait de mourir au combat. Dernier descendant d'une longue lignée de soldats, sans enfant, il désirait une fin glorieuse et n'a trouvé, dit-il « que la médiocrité d'une sous-planète pour finir sa vie ». Il a rapidement pris la dimension des contraintes de Hautmégafine et exige de ses hommes un maintien digne des compagnies d'élite, mais en ajustant ses ordres aux limites de la région.
Le capitaine médecin est spécialisé dans l'aide psychologique aux soldats. Cela fait bien longtemps que je n’avais eu de conversation aussi intéressante. C'est un esprit ouvert, qui ne rejette pas ce qu'il se passe ici. Rapidement il m'a accompagné dans mes promenades locales. Il ne sait rien des Uhoms et semble désireux d'apprendre. Je lui ai passé les livres que j’ai en ma possession, que j'ai bien enrichi de mes connaissances. Grâce à cela, il a pu rapidement parler comme un enfant. Il a donné des conseils judicieux sur l'organisation de la langue, en émettant l'hypothèse que plus le sujet est âgé et plus son vocabulaire et la nuance des mots, des sonorités qu'il emploie, sont grands. Cela pourrait effectivement correspondre avec la réalité de ce que j'ai déjà entendu.
Si cette bonne entente persiste alors peut-être pourrais-je faire ce voyage dans les terres lointaines que je n’osais pas jusqu'à ce jour.
Le reste des arrivants sont des soldats avec leur famille. Hautmégafine est restée exceptionnellement sage en cette saison. Ce qui leur a permis une arrivée et une acclimatation pas trop difficile. La colonie a presque doublé, il a fallu reconstruire des bâtiments pour loger tout le monde. Le sentiment général des nouveaux arrivants est toujours le même. Être contraint du jour au lendemain d'abandonner tout confort et de nombreuses habitudes ne se vit pas facilement. Les femmes et les jeunes se plaignent beaucoup. Il y a vraiment peu de distractions dignes de ce nom sur cette planète, selon le point de vue de nos adolescents. Bien sûr certains ont gardé des télés ou des radios, ne pensant même pas que tout ce qu'on leur avait dit pourrait être vrai. L'arrachement est pour eux d’autant plus grand que le matériel ainsi détruit est irrécupérable.
Je vois encore cette mère pleurant devant son écran la perte de toutes ses photos, de tous ses souvenirs.
Un autre sujet d'arrachement est la prise de conscience de la distance avec le reste de l’univers. Ne plus avoir d’hyper-ondes nous renvoie à des décades de toutes nouvelles, qu'elles soient politiques ou familiales. Cela fait de Hautmégafine une sorte de bulle atemporelle.
J'occupe mes longs moments de solitude en écrivant, en mettant en ordre mes notes et mes idées sur cette planète étrange. Je suis un auteur prolifique puisque j’ai à mon actif au moins huit livres sur l'histoire connue de Hautmégafine, sur l'histoire de la colonie avec tous ces aspects économiques, sociaux politiques et même écologiques, sur la langue et les mœurs des Uhoms.
Par contre je me perds en conjectures sur leur origine. Ils sont humanoïdes et d'après ce que j'ai pu voir semblables aux humains. Je n’ai jamais pu en examiner, ni faire d'analyse ou de test qui nous permettrait de les rattacher à notre branche. Tout le monde sait qu'au cours de la première ère, il y eut de nombreuses colonisations au petit bonheur souvent sans suite, mais parfois réussies, mais sur Hautmégafine ça reste un mystère.
J'ai fait des plans dans ma tête pour un voyage d’études. Partir d'abord à l'Ouest pour chercher le début des migrations, l'origine du départ de ce peuple puis aller à l’Est jusqu'au bout pour comprendre le but. A moins qu'il ne soit plus judicieux d'aller directement à l'Est. Je ne suis plus tout jeune, vouloir tout faire sera peut-être au-dessus de mes forces. Ici il n'y a pas de caisson de régénération. L'expression le poids des ans retrouve toute sa valeur. Je me découvre plus fatigable, plus souffrant qu'il y a quelques années. Les trois traitements auxquels je n'ai pas eu droit me manquent pour me donner la vitalité dont je rêve. Tu vois c’est aussi cela Hautmégafine. Mes cheveux sont maintenant gris et je me voûte. Cela ne se voit pas trop mais je le sens, je peux même mesurer ma perte de taille. Même ici, je ne peux m'empêcher d'essayer de faire de la recherche. Si je n'ai pas de matériel sophistiqué, j'en suis revenu à des indicateurs peut-être moins sensibles mais tout aussi fiables. Dans les annales de la colonie je n’ai trouvé personne qui ait dépassé les 68 ans. L’âge moyen de la mort est de 64 ans quel que soit le sexe. Cela me laisse une dizaine d'années pour espérer faire quelque chose. Je m'imagine ton étonnement à l’énoncé de ces chiffres. Si dans l'Empire l’âge moyen du décès hors guerre, est de 94 ans pour les hommes et 112 ans pour les femmes, il y a dans l'atmosphère et dans la nourriture sur cette planète des substances qui agissent pour diminuer l’espérance de vie.
J'ai pu comparer ces chiffres à ceux d'une base de données sur les mondes spéciaux comme il est dit pour classer un monde comme celui-ci. Ils sont semblables. Si vous perdiez les paramédics automatiques et les traitements régénérant je fais l’hypothèse que vous reviendrez vite dans ces valeurs. Mais l'Empire est l'Empire et éternel est son règne dit le credo politique de nos dirigeants.
Encore quatre mois et nous changeons d’année. Beaucoup espèrent une grâce de l'empereur pour son jubilé et une autre affectation. Voilà 50 ans qu’il règne sur les destinées de l'Empire et jamais il n’a été aussi fort, militairement et économiquement. Seules les marges orientales sont une épine dans son pied. Partout ailleurs l'expansion de nos forces ne connaît pas d'adversaire en mesure de l’arrêter.
Mais nous n’allons pas discuter politique. Ma vision du monde est trop limitée pour valoir quelque chose.
Pour finir une anecdote amusante. J'ai fait une promenade seul avec mon alcent Aïfta. Je le crois intelligent. Partis le matin, il a couru quatre heures pour m’emmener à une cérémonie. C’est la première que je vois. Comme toujours, et sans que je sache comment cela est possible, j’ai été accueilli par mon nom Uhom « Celui qui vient ». Il s’agissait d’un groupe de jeunes Uhoms préparant la cérémonie du choix de l'élection mais je ne suis pas sûr de la traduction. Ils m'ont invité à les suivre. Il y a eu un repas rituel, où chacun fait le même geste pour couper et séparer les aliments, puis nous nous sommes assis torses nus face au soleil. L’un des jeunes est venu corriger ma position. Is, un Uhom plus âgé qui porte le titre de « Celui qui sait » (ce n’est pas un nom de personne comme je le croyais) est passé en chantant une psalmodie tellement compliquée qu’hormis le fait qu'elle parlait de choix d'élection réciproque je n'ai pas compris de quoi il retournait exactement. Il a imposé les mains sur chaque Uhom et même sur moi. J’ai senti une chaleur m'envahir, une idée de bonheur est née en moi. Cela a été à la fois merveilleux et douloureux car je n'avais pas connu cela depuis le décès de ta mère. Enfin il nous a apporté une coupe remplie d’un breuvage qui ressemble au vin et dans lequel il doit y avoir de l’herbe à Sniiak vu le goût. Je me suis senti alors flotter dans une douce euphorie. J’ai rêvé de ta mère, de notre couple, du bonheur de ta naissance, des femmes que j'ai connues et même de jeunes Uhoms.
Quand je me suis réveillé, Aïfta était à mes pieds. Les autres semblaient dormir encore. Nous formions une étoile, nos têtes presque au contact. Je me suis levé avec l’impression d’avoir trop bu la veille. Heureusement qu’Aïfta a le pied sûr et que je n'ai pas besoin de le guider. Je crois même que je me suis endormi sur son dos.
J’aimerais savoir la composition de ce breuvage car pendant trois jours j’ai eu la sensation de flotter.
A un jour peut-être.
Tendrement.
Ton père.
dimanche 17 janvier 2010
Lettre SIX
9e jour de la 6e décade du premier mois de la 80e année de la 3e Ere.
Bien cher fils.
L’irréparable est arrivé avec le double décès du lieutenant et du caporal qui était aussi le bourreau.
Le Caporal a été trouvé mort dans sa chambre reposant sur son lit. La pièce puait l'herbe à Sniiak. J'ai fait l'autopsie mais je n'ai rien trouvé de probant à part une écharde dans le cinquième doigt de la main gauche, issue d'un arbre que je ne connais pas. Comme je n'ai plus d'analyseur de plantes ou de substances vénéneuses, j'ai conclu mon rapport dans le sens d'une mort naturelle par abus d'herbe à Sniiak. Tu comprends bien que cela ne me satisfait pas. J'ai une impression de meurtre derrière tout cela mais aucune preuve tangible pour étayer mon opinion.
Cette mort a complètement déstabilisé le lieutenant qui s'est laissé aller à sa paranoïa. Il a sorti en quelques jours plus de règlements qu’en un an. Mais personne n'a voulu les appliquer. Il s'est mis à menacer tout le monde d'un châtiment exemplaire et définitif ce qui dans sa bouche veut dire la mort. Cela a duré une semaine, et un matin, il était en bas de l'escalier du village, la nuque brisée, le corps couvert de contusions qui auraient pu être dues à la chute et aux chocs sur les marches.
Là aussi j'ai dû faire une autopsie et un rapport. Mais les investigations n'ont rien donné, toutes les hypothèses se valent. Une seule chose est sûre, tout le monde dans la colonie semble content de cette double mort. Les commentaires que j'entends ne me permettent pas de trancher, dans un sens comme dans l'autre : double meurtre, double accident ou seulement un meurtre et un accident ? Dans mon rapport je ne parle que de mort naturelle car je n'ai pas de preuve. Mais la mort du lieutenant a évité un carnage. Le sergent m'a fait voir l'installation qu’il mettait en place. Sous chaque maison il y avait assez d’explosifs pour tuer tout le monde. La nuit où il est mort, il commençait à relier les explosifs avec des mèches.
J'ai recommandé le silence le plus absolu au sergent et nous avons déminé le village à deux le plus discrètement possible.
Vu les orages incessants ce mois-ci, un à deux par jour au minimum, il était hors de question de faire venir un astronef. Les rapports sont partis dans une fusée à poudre. Il faudra de 2 à 3 décades pour qu'elle atteigne le point où elle sera détectable par la station orbitale. Il faudra encore une bonne décade pour que les papiers soient récupérés puis traduits et encore une à huit décades pour que la fenêtre d'émission en ultra-ondes soit ouverte. Le retour se fera de même, il n'y aura pas de nouvelles de l'Empire à notre malheur avant un ou deux mois.
J'ai appris par une dépêche ta nomination en tant que chef de l'armée de l'Empire dans les marges orientales. La qualité de ta stratégie fait merveille. Le bulletin parle de tes nombreuses victoires. La politique de l'Empire reste toujours expansive quelles que soient les circonstances et les rencontres possibles. Je ne sais que peu de choses de ces humanoïdes que vous combattez. La propagande les présente comme des êtres misérables cherchant le conflit.
Pourtant avant que je ne sois exilé sur Hautmégafine, nous avions des contacts avec eux. Quand je dis nous, je parle des marchands de la planète. Les rapports semblaient cordiaux, ce qu'on disait d’eux ne laissait pas présager une guerre aussi dure et aussi totale.
Voilà bientôt deux ans que les marges orientales sont à feu et à sang, nécessitant hommes et matériels au détriment d'autres priorités.
Notre espèce est une espèce guerrière, j'en suis de plus en plus persuadé, aimant dominer et contraindre. Le respect de l'autre ne peut venir que d'un changement dans la manière de voir chaque homme et sûrement pas d'une structure quelle qu’elle soit.
Mais voilà que je philosophe. Cela devient une manie chez moi pour combler ma solitude. Les promenades et les contacts avec les Uhoms ne suffisent plus à me faire oublier les soucis de la colonie et le poids de ma détresse d'être seul. Me reviennent les souvenirs des temps heureux avec ta mère, quand nous étions jeunes sur le monde bleu, avant l'accident, avant la fuite de monde en monde pour essayer d'oublier. Maintenant que je suis ici dans ce cul-de-sac dont si peu s'échappent, je ne peux plus fuir. Je suis bien obligé de repenser à cette période, à ce triste jour où un météorite a détruit l'astronef tuant aveuglément les uns ou les autres, épargnant tel ou tel sans que l'on sache pourquoi. Longtemps je me suis senti coupable de l’avoir entraînée dans ce voyage dont elle ne voyait pas bien l'intérêt et d'avoir été ainsi cause de sa mort. Maintenant, après toutes ces années, je peux regarder enfin les circonstances avec suffisamment de paix pour ne plus me sentir culpabilisé. Cela rend pourtant l'absence encore plus cruelle, car ici, à deux, nous aurions eu une chance de survivre. Alors que je sens bien que petit à petit, tout perd de son importance jusqu'au jour où vivre me deviendra aussi indifférent que mourir. J'en suis déjà à me demander pourquoi continuer à vivre et à ne plus savoir quoi répondre. Pour le moment mon utilité au sein de la colonie me sert de rempart face à un abîme où je risque de plonger.
J'essaye de secouer ces tristes pensées et je pars faire une promenade. C'est encore actuellement le meilleur remède pour moi.
Les Uhoms m'ont amené un alcent il y a quelques semaines. J'allais à pied vers un de leur campement regardant une de ces sortes de gros scarabées fouillant la terre pour labourer quant un groupe est venu vers moi tenant à la longe une de ces magnifiques bêtes.
Je m'étais arrêté pour les saluer et les regarder, pensant qu'ils venaient s'occuper de la bête laboureuse. J'ai toujours été fasciné par le génie de ce peuple qui, ne pouvant avoir de machine, a domestiqué et sélectionné (qui peut le savoir) des animaux pour remplir ces tâches que nous réservons aux machines. J'attendais donc sur le bord du chemin, quand ils se sont arrêtés face à moi. Après le salut rituel que je commence à maîtriser. Le Uhom qui tenait l'alcent s'est approché de moi, me l’a remis de la part de « Celui qui sait ».
Ma stupéfaction a été totale. Jamais à la colonie nous n'avons eu ou utilisé d’alcent. De sa voix musicale l'homme a parlé à l'oreille de la bête qui est venu frotter son museau sur mes mains, pliant l’échine pour que je monte. Puis, le Uhom s'adressant à moi, dit : « Celui qui sait » dit que tu en feras bon usage. Que « Celui qui vient » (c'est le nom qu'ils me donnent) ne rentre pas chez lui avec l'alcent mais qu’il le laisse aller et venir. L'alcent viendra quand il aura besoin » et il a conclu que « Celui qui vient fasse le bon choix ».
Je suis monté sur le dos de la bête qui se nomme « air vif » : Aïfta, qui est aussitôt parti au trot. Cet après-midi-là nous avons fait connaissance Aïfta et moi. Je ne sais comment traduire avec des mots ce que j'ai ressenti. Il était attentif à moi, faisant en sorte que je ne risque rien sur son dos, que je trouve mon assiette. Le soir est arrivé, j’ai eu l'impression que nous étions très loin de l’astroport. Aïfta a fait demi-tour et son trot s'est mué en galop. L'impression est extraordinaire. C'est comme si tu volais au-dessus du sol. On sent les muscles de l’alcent bouger, on sent le vent fouetter le visage, tout devient flou avec la vitesse mais nulle peur, une impression de sécurité. Je ne peux te dire sa vitesse, toujours est-il qu'en quelques minutes nous étions revenus à proximité de l'astroport. Il s'est arrêté. Je lui ai caressé le cou, il est reparti de son trot enlevé.
Maintenant à chaque promenade, il arrive dès que je suis hors de vue des autres. Je monte sur son dos et nous partons. Il fait en deux heures ce qu'un traîneur met quatre jours à parcourir. C’est extraordinaire.
Grâce à Aïfta, j'ai commencé à me faire une idée de Hautmégafine. Il n'y a pas de ville, cela, les satellites nous l'avaient appris, mais il y a beaucoup plus de gens que je ne pouvais le penser. Il y a de petits campements de quelques individus partout dans la campagne et toujours d'une même classe d'âge.
La plus grande découverte que j'ai faite pour le moment est que d'Ouest en Est les classes d'âge augmentent. L'impression que j'ai est que sur cette planète, chaque âge à sa place géographique.
C'est une idée tellement curieuse qu’il me faut encore du temps pour vérifier cela, en allant encore plus loin avec Aïfta.
Même si cette lettre ne reçoit jamais de réponse, sache que je pense à toi, que j'espère que malgré la guerre, tu t'en sortiras.
Tendrement.
Ton père.
Bien cher fils.
L’irréparable est arrivé avec le double décès du lieutenant et du caporal qui était aussi le bourreau.
Le Caporal a été trouvé mort dans sa chambre reposant sur son lit. La pièce puait l'herbe à Sniiak. J'ai fait l'autopsie mais je n'ai rien trouvé de probant à part une écharde dans le cinquième doigt de la main gauche, issue d'un arbre que je ne connais pas. Comme je n'ai plus d'analyseur de plantes ou de substances vénéneuses, j'ai conclu mon rapport dans le sens d'une mort naturelle par abus d'herbe à Sniiak. Tu comprends bien que cela ne me satisfait pas. J'ai une impression de meurtre derrière tout cela mais aucune preuve tangible pour étayer mon opinion.
Cette mort a complètement déstabilisé le lieutenant qui s'est laissé aller à sa paranoïa. Il a sorti en quelques jours plus de règlements qu’en un an. Mais personne n'a voulu les appliquer. Il s'est mis à menacer tout le monde d'un châtiment exemplaire et définitif ce qui dans sa bouche veut dire la mort. Cela a duré une semaine, et un matin, il était en bas de l'escalier du village, la nuque brisée, le corps couvert de contusions qui auraient pu être dues à la chute et aux chocs sur les marches.
Là aussi j'ai dû faire une autopsie et un rapport. Mais les investigations n'ont rien donné, toutes les hypothèses se valent. Une seule chose est sûre, tout le monde dans la colonie semble content de cette double mort. Les commentaires que j'entends ne me permettent pas de trancher, dans un sens comme dans l'autre : double meurtre, double accident ou seulement un meurtre et un accident ? Dans mon rapport je ne parle que de mort naturelle car je n'ai pas de preuve. Mais la mort du lieutenant a évité un carnage. Le sergent m'a fait voir l'installation qu’il mettait en place. Sous chaque maison il y avait assez d’explosifs pour tuer tout le monde. La nuit où il est mort, il commençait à relier les explosifs avec des mèches.
J'ai recommandé le silence le plus absolu au sergent et nous avons déminé le village à deux le plus discrètement possible.
Vu les orages incessants ce mois-ci, un à deux par jour au minimum, il était hors de question de faire venir un astronef. Les rapports sont partis dans une fusée à poudre. Il faudra de 2 à 3 décades pour qu'elle atteigne le point où elle sera détectable par la station orbitale. Il faudra encore une bonne décade pour que les papiers soient récupérés puis traduits et encore une à huit décades pour que la fenêtre d'émission en ultra-ondes soit ouverte. Le retour se fera de même, il n'y aura pas de nouvelles de l'Empire à notre malheur avant un ou deux mois.
J'ai appris par une dépêche ta nomination en tant que chef de l'armée de l'Empire dans les marges orientales. La qualité de ta stratégie fait merveille. Le bulletin parle de tes nombreuses victoires. La politique de l'Empire reste toujours expansive quelles que soient les circonstances et les rencontres possibles. Je ne sais que peu de choses de ces humanoïdes que vous combattez. La propagande les présente comme des êtres misérables cherchant le conflit.
Pourtant avant que je ne sois exilé sur Hautmégafine, nous avions des contacts avec eux. Quand je dis nous, je parle des marchands de la planète. Les rapports semblaient cordiaux, ce qu'on disait d’eux ne laissait pas présager une guerre aussi dure et aussi totale.
Voilà bientôt deux ans que les marges orientales sont à feu et à sang, nécessitant hommes et matériels au détriment d'autres priorités.
Notre espèce est une espèce guerrière, j'en suis de plus en plus persuadé, aimant dominer et contraindre. Le respect de l'autre ne peut venir que d'un changement dans la manière de voir chaque homme et sûrement pas d'une structure quelle qu’elle soit.
Mais voilà que je philosophe. Cela devient une manie chez moi pour combler ma solitude. Les promenades et les contacts avec les Uhoms ne suffisent plus à me faire oublier les soucis de la colonie et le poids de ma détresse d'être seul. Me reviennent les souvenirs des temps heureux avec ta mère, quand nous étions jeunes sur le monde bleu, avant l'accident, avant la fuite de monde en monde pour essayer d'oublier. Maintenant que je suis ici dans ce cul-de-sac dont si peu s'échappent, je ne peux plus fuir. Je suis bien obligé de repenser à cette période, à ce triste jour où un météorite a détruit l'astronef tuant aveuglément les uns ou les autres, épargnant tel ou tel sans que l'on sache pourquoi. Longtemps je me suis senti coupable de l’avoir entraînée dans ce voyage dont elle ne voyait pas bien l'intérêt et d'avoir été ainsi cause de sa mort. Maintenant, après toutes ces années, je peux regarder enfin les circonstances avec suffisamment de paix pour ne plus me sentir culpabilisé. Cela rend pourtant l'absence encore plus cruelle, car ici, à deux, nous aurions eu une chance de survivre. Alors que je sens bien que petit à petit, tout perd de son importance jusqu'au jour où vivre me deviendra aussi indifférent que mourir. J'en suis déjà à me demander pourquoi continuer à vivre et à ne plus savoir quoi répondre. Pour le moment mon utilité au sein de la colonie me sert de rempart face à un abîme où je risque de plonger.
J'essaye de secouer ces tristes pensées et je pars faire une promenade. C'est encore actuellement le meilleur remède pour moi.
Les Uhoms m'ont amené un alcent il y a quelques semaines. J'allais à pied vers un de leur campement regardant une de ces sortes de gros scarabées fouillant la terre pour labourer quant un groupe est venu vers moi tenant à la longe une de ces magnifiques bêtes.
Je m'étais arrêté pour les saluer et les regarder, pensant qu'ils venaient s'occuper de la bête laboureuse. J'ai toujours été fasciné par le génie de ce peuple qui, ne pouvant avoir de machine, a domestiqué et sélectionné (qui peut le savoir) des animaux pour remplir ces tâches que nous réservons aux machines. J'attendais donc sur le bord du chemin, quand ils se sont arrêtés face à moi. Après le salut rituel que je commence à maîtriser. Le Uhom qui tenait l'alcent s'est approché de moi, me l’a remis de la part de « Celui qui sait ».
Ma stupéfaction a été totale. Jamais à la colonie nous n'avons eu ou utilisé d’alcent. De sa voix musicale l'homme a parlé à l'oreille de la bête qui est venu frotter son museau sur mes mains, pliant l’échine pour que je monte. Puis, le Uhom s'adressant à moi, dit : « Celui qui sait » dit que tu en feras bon usage. Que « Celui qui vient » (c'est le nom qu'ils me donnent) ne rentre pas chez lui avec l'alcent mais qu’il le laisse aller et venir. L'alcent viendra quand il aura besoin » et il a conclu que « Celui qui vient fasse le bon choix ».
Je suis monté sur le dos de la bête qui se nomme « air vif » : Aïfta, qui est aussitôt parti au trot. Cet après-midi-là nous avons fait connaissance Aïfta et moi. Je ne sais comment traduire avec des mots ce que j'ai ressenti. Il était attentif à moi, faisant en sorte que je ne risque rien sur son dos, que je trouve mon assiette. Le soir est arrivé, j’ai eu l'impression que nous étions très loin de l’astroport. Aïfta a fait demi-tour et son trot s'est mué en galop. L'impression est extraordinaire. C'est comme si tu volais au-dessus du sol. On sent les muscles de l’alcent bouger, on sent le vent fouetter le visage, tout devient flou avec la vitesse mais nulle peur, une impression de sécurité. Je ne peux te dire sa vitesse, toujours est-il qu'en quelques minutes nous étions revenus à proximité de l'astroport. Il s'est arrêté. Je lui ai caressé le cou, il est reparti de son trot enlevé.
Maintenant à chaque promenade, il arrive dès que je suis hors de vue des autres. Je monte sur son dos et nous partons. Il fait en deux heures ce qu'un traîneur met quatre jours à parcourir. C’est extraordinaire.
Grâce à Aïfta, j'ai commencé à me faire une idée de Hautmégafine. Il n'y a pas de ville, cela, les satellites nous l'avaient appris, mais il y a beaucoup plus de gens que je ne pouvais le penser. Il y a de petits campements de quelques individus partout dans la campagne et toujours d'une même classe d'âge.
La plus grande découverte que j'ai faite pour le moment est que d'Ouest en Est les classes d'âge augmentent. L'impression que j'ai est que sur cette planète, chaque âge à sa place géographique.
C'est une idée tellement curieuse qu’il me faut encore du temps pour vérifier cela, en allant encore plus loin avec Aïfta.
Même si cette lettre ne reçoit jamais de réponse, sache que je pense à toi, que j'espère que malgré la guerre, tu t'en sortiras.
Tendrement.
Ton père.
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