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Sixième épisode
Cinquième scène (début)
Avec Ktanm je décidais de reprendre le chemin de Terre Un. Je laissais Dianta continuer les préparatifs pour l'invasion du système suivant. Je sentis le soulagement dans sa salutation. Il allait pouvoir continuer la campagne d'invasion sans trembler de peur devant moi. Les forces margiennes avaient perdu beaucoup trop d'unités dans la bataille du système 7.8 pour être maintenant un danger. La valeur de stratège de Dianta était reconnue. Seule sa haine pour moi qui lui avait volé la place de commandant suprême de la force impériale, était la cause des « erreurs » dans ses conseils. Si je n'avais pas dansé l'idéogramme de la mort, ma défaite lui aurait rendu sa place et son prestige.
- J’ai envie de passer par le 7.8, puisque nous avons le temps. L’Empereur ne nous attend que dans quelques jours
- Hum ! Right, je ne sais pas si c’est une bonne idée. Cela reste un système de mort.
- Tu as raison, mais je voudrais revoir l’idéogramme.
- Hum ! Right, il n’y a que la mort là-bas.
- Non, Ktanm, il y a aussi la force dont j’ai besoin.
Manifestement, nous ne nous comprenions plus comme avant. Elle avait depuis ma victoire ce petit raclement à chaque fois qu’elle s’adressait à moi. Elle ne semblait pas le remarquer. Cela mettait de la distance entre nous.
Je pris les commandes. Elle me laissa faire. Quand nous arrivâmes dans le système 7.8, je vis l’idéographe dans toute sa beauté et sa puissance.
Je coupais les moteurs. Nous avancions sur notre seule erre. Ici, sur le lieu même de l’expression de ma puissance, je pouvais laisser ma colère se calmer. Je me calais dans mon fauteuil. Je laissais vagabonder mon esprit pendant que mes yeux écrans contemplaient l’idéographe.
Je sursautais. Il était plus pâle que dans mon souvenir. Ce n'était pas possible, il ne pouvait perdre sa puissance. Je redevenais Tiakakner par la rage qui m’emplissait à la vue de ce véritable blasphème. Personne n'avait le droit d'y toucher. Qui pouvait ainsi l'atteindre. J'étendais mes perceptions au système entier.
- Hum ! Right, tu me fais peur à nouveau....
La voix de Ktanm était comme ralentie. Le temps dans lequel je me déplaçais, n'était plus le sien. Je touchais les planètes avec mes senseurs. Rien n'y vivait. Je sondais les TET. Rien n'en sortait. Je continuais mon exploration. Un point attira mon attention. Il était ténu mais sa lumière pulsait de vie. A la limite du système 7.8, s'approchant de manière antique, à la seule force de ses propulseurs ioniques, un petit vaisseau s'avançait. Brutalement je remis mon chasseur en route. Il fallait que j'aille voir. Pendant que je me rapprochais, je calculais la vitesse de cette capsule. Elle était loin d'approcher les vitesses modernes. Elle ne possédait ni champ de protection, ni arme. Vu sa taille, son équipage ne pouvait comporter que quelques individus. En continuant sur sa lancée, elle atteindrait le centre du système dans une dizaine d'années locales. J'interrogeais le RésOrd. Sa réponse me surprit. J'étais en présence d'une fusée vieille de plusieurs millénaires.
Je fis le calcul de sa trajectoire passée. Passés plusieurs siècles, les calculateurs ne pouvaient retrouver sa trace. Pourtant le modèle était caractéristique. Elle venait de Terre Une. Sa lenteur expliquait-elle sa survie? Elle approchait de la zone d'influence de l'idéographe de mort tout en gardant sa pulsation vitale. Je sentis la présence humaine à l'intérieur. C'était un homme. Il était seul. Les systèmes de la capsule fonctionnaient en mode post réveil. Il venait d’être réanimé de son sommeil cryogénique. Je laissais mes senseurs palper les ondes qui émanaient de lui. Je ressentis de la douleur à ce contact.
Qui était cet homme dont l’âge se comptait en siècles ou en millénaires?
Sur mes différents instruments, je vis monter la vie en lui. J'entrais à nouveau en contact sensoriel avec l'homme qui s'éveillait. Le contact m'arracha un hurlement.
- H u m ! R i g h t , q u ' e s t - c e q u i s e p a s s e ?
La voix lente et déformée de Ktanm me ramena à la réalité
- Un moine d'Enkafout! C'est un moine d'Enkafout!
- Hum ! Right, de quoi parles-tu?
Je regardais les ondes vivantes qui irradiaient de plus en plus fort. A leur contact, l'idéographe perdait sa noirceur. Il s'affaiblissait. J'expliquais la situation à Ktanm.
Je vivais l'impossible. A nouveau en moi le combat s'engagea. Tiakakner ne pouvait pas toucher aux moines d'Enkafout. Ils représentaient un monde qui lui était fermé. Right pouvait. Il ne comprenait pas ce que cela impliquait. Right-Tiakakner était bloqué dans le conflit.
- Hum ! Right, je ne comprends pas tout ce que tu me racontes.
- Il ne devrait pas être là. Sa lumière commence à me faire mal. C'est impossible qu'il soit là. Sa fusée est partie, il y a des siècles.
- Hum ! Right, es-tu sûr que c'est un moine d'Enkafout?
- Oui, ça ne fait aucun doute. En plus c'est un grand maître. Sa puissance ne cesse d'augmenter. Oh ! L'idéographe s'efface...
Je souffrais beaucoup. Comment un grand maître de ces foutus moines pouvait-il être là à détruire la beauté noire de mon idéographe?
Je hurlais de rage impuissante et de douleur face à un tel déferlement. La trame du système se réparait. De proche en proche, elle se reconstituait.
Ktanm fit feu. Les rayons des lasers mirent une heure atteindre la capsule. Sur un vaisseau moderne, ils auraient été sans effet. Sur l'antique capsule, les millions de Tlum même défocalisés firent l'effet d'une vague de feu. Après leur passage, il ne resta qu'un tas de ferraille fondue.
La lumière s'était éteinte.
- Hum ! Right, c'est fini. Je serai ton bras lorsque nous en rencontrerons un.
Je pleurais la perte de l'idéographe. Malgré la mort du moine, il se délitait. Bientôt la trame de l'espace temps aurait retrouvé sa texture.
C'est alors qu'arriva le message.
« Oyez, oyez Messire Tiacacnère... »
- Qu'est-ce que c'est que ce truc ???
- Hum ! Right, cela vient de la capsule. L'émetteur a été largué juste avant la destruction. - Mais c'est en quelle langue?
- Hum ! Right, c'est du vieux terrien. Je vais le passer en moderne.
Ktanm ajusta quelques réglages. Le circuit audio crachota un peu. Une voix désincarnée traduisait les riches harmoniques du message qui se déroulait en arrière plan :
« Ecoutez, Messire Tiakakner, ce message que vous aurez quand je serais déjà mort. Par delà le temps et l'espace, j'ai ressenti votre geste. En tant que serviteur du Dieu de vie, je viens au secours de cet espace-temps que vous avez martyrisé. Je sais que je rencontrerai la mort en la chassant. C'est la vie même. Je l'accepte pour que vive ce qui doit vivre. J'espère que ce message et mon action donneront un axe fécond à votre réflexion. J'espère qu'ainsi, Messire Tiakakner, vous trouverez la place qui est la vôtre dans le plan du Dieu de vie. Recevez ma bénédiction. »
Je n'entendais aucune peur dans cette voix. Cela ne répondait pas à ma question : qui était-il?
Ktanm était aussi perplexe que moi. La fusée détruite ne donnerait pas la réponse. Nous décidâmes de récupérer l'enregistreur qui continuait à diffuser son message en boucle. Son étude nous donnerait des informations. Pour Ktanm, rien ne prouvait qu'il vienne d'Enkafout.
Il nous fallut du temps pour récupérer cette petite boîte qui émettait sans arrêt. Je pensais que si nous avions été capables de l’entendre, d’autres avaient pu faire de même. Dans un blindage épais, le boîtier d’émission était bien à l’abri. Il avait supporté les lasers bien mieux que la capsule. Il avait manifestement été conçu pour cela. L’antenne n’avait été déployée que secondairement. Sa fragile trame n’aurait pas survécu à la décharge énergétique. En analysant les différents composants, nous récoltâmes de nombreux indices. Cet émetteur n’avait pas été prévu pour fonctionner longtemps. Il n’avait une autonomie que de quelques heures. Sa technologie était vieille mais moins que celle de la fusée. Cela faisait remonter le départ de ce moine à une douzaine de siècles. C’était ancien mais moins vieux que la technologie de la fusée qui avait entre deux et trois millénaires.
Comment est-ce qu’un homme d’il y a douze siècles avait-il pu se retrouver dans une fusée de plus de deux mille ans pour arriver ici et maintenant ?
Ktanm se brancha sur le RésOrd. La page des caractéristiques de la fusée était toujours ouverte. Je relus le paragraphe historique. Ce modèle a été construit à des milliers d’exemplaires. Il pouvait emmener trois à dix personnes en sommeil cryogénique. L’époque de sa construction correspondait avec une grande soif d’expansion sur Terre Une. La surpopulation était majeure. Il fallait trouver de nouveaux territoires. Des milliers de ces fusées furent lancées. Remplies de volontaires prêts au sacrifice ultime, elles étaient la flotte d’éclaireurs que Terre Une envoyait. En accélération constante grâce à leurs moteurs ioniques révolutionnaires à l’époque, elles atteignaient des vitesses relativistes qui devaient leur permettre de découvrir une nouvelle terre. Les évènements ne s’étaient pas passés comme prévu. Alors que les fusées étaient parties depuis un siècle et que l’humanité avait colonisé tout ce qui pouvait être colonisé dans le système solaire, un jeune génie avait découvert le principe des TET et mis au point les engins capables de les parcourir. Si on connaissait quelques exemples de fusée récupérée avec des équipages plus ou moins saufs, on perdit la trace de la majorité de la flotte des « éclaireurs du ciel » comme on les appelait.
L’émetteur faisait appel à une technologie incontestablement margienne. Le RésOrd était à court de renseignement. Tant que la conquête n’était pas finie, il n’avait pas accès aux bases de données margiennes. L’histoire de cette partie de l’univers lui échappait,… mais pas à nous. Nous avions piraté leurs circuits de communication. Les margiens avaient aussi des bases de données. Ils ne possédaient pas un mais des circuits du type du RésOrd. Chacun était le fruit d’une initiative privée. N’étant pas interconnectés, ils offraient une rigidité très éloignée de ce que nous connaissions avec le RésOrd. Ktanm se brancha sur un circuit historique. Elle envoya une requête sur l’histoire des moines d’Enkafout.
L’histoire d’Enkafout commençait bien des cycles plus tôt. Rien que cette phrase éveilla en moi de la colère. Si l’Empire avait standardisé les calendriers, les margiens avaient un système fluctuant. Un cycle pouvait correspondre à un mois, une saison, une année, un siècle selon les critères de l’Empire. De plus chaque système solaire donnait à ces mots des valeurs différentes. Le RésOrd traduisait automatiquement les temps anciens en dates selon le calendrier standard. Ici, rien de tel, chacun devait faire ses calculs suivant son calendrier. En recoupant différents documents, nous pensions que le début de la colonisation d’Enkafout remontait à environ mille cinq cents ans selon le calendrier impérial standard. Une petite colonie forte de quelques centaines de personnes avait débarqué d’un caboteur de l’espace pour fuir des persécutions religieuses. Une histoire mille fois répétée, pensais-je. La planète sauvage et peu accueillante pour des êtres humains était en dehors des circuits de développement de royaumes. Les débuts de la colonie avaient été calmes. Elle avait pu se développer. Le nom d’Enkafout venait de la langue secrète de ces premiers colons. La sonorité du nom associait l’idée de la paix et de l’unité. L’histoire locale se poursuivit comme toutes les histoires. Il y eut des périodes de paix et d’autres de guerre. Il y eut des envahisseurs et des libérateurs. Cela aurait été banal sans l’Evènement. Une fusée étrange s’était satellisée autour d’Enkafout. La civilisation sur la planète était assez développée techniquement pour récupérer les occupants de la capsule. Sur les dix corps trouvés en sommeil cryogéniques, seuls deux étaient revenus à la vie.
Ils parlaient une langue que personne ne comprenait. L’autorité suprême se méfiait des nouveautés. Comme il y avait un homme et une femme, on les isola. Une équipe spéciale fut chargée de s’occuper d’eux. Manifestement, ils ne connaissaient rien aux us et coutumes de Enkafout. Ils apprirent la langue mais ne purent la parler qu’avec un accent épouvantable. Lors des interrogatoires, ils racontaient des évènements sur leur monde d’origine dont il n’existait aucune trace dans l’histoire de la planète. La fusée fut elle aussi analysée. Elle était vieille, sa conception ne venait pas des Marges. Vu ses réserves et sa capacité à récupérer de l’énergie, les ingénieurs calculèrent sa provenance possible. Quelque soit la direction, cette fusée ne pouvait venir que de l’espace intergalactique où rien n’existait. Seul le passage par un TET aurait pu expliquer une origine plus lointaine. Elle n’était pas équipée pour cela.
Le mystère qui planait autour de ce couple, alimentait les rumeurs sur Enkafout. Certains racontaient que la femme avait guéri un des enfants des gardiens par son seul regard. D’autres que l’homme expliquait leur arrivée dans le système d’Enkafout par l’intervention d’un Dieu qui lui était apparu. L’autorité suprême dans sa sagesse, ne les avait pas laissés en liberté. Quand la femme fut enceinte, les histoires les plus folles se mirent à courir. On parla d’enfant divin, de messie venu sauver Enkafout de la tyrannie. Tous les démentis n’y changèrent rien. Il y eut des manifestations pour obtenir la liberté du couple et de l’enfant. L’opposition avait trouvé là un sujet merveilleux pour se renforcer. La femme accoucha d’un enfant mâle. Elle mit au monde un fils. Fermement décidée à ne rien lâcher, l’autorité suprême fit venir l’armée. Le tremblement de terre qui suivit, ravagea la capitale et toute la province de Bensalma. Les morts se comptèrent par millions. Ce fut le chaos. L’union sacrée de toutes les forces se fit d’autant plus facilement que l’autorité suprême avait disparu dans le séisme. Le couple des étrangers qui avaient vu Dieu, comme on les avait surnommés, était resté probablement sous les décombres de l’institut chargé de les abriter. Il fallut attendre presque quinze ans pour que naisse la rumeur du saint ermite de la montagne de Sourqua. Un tout jeune homme, doué d’une grande sagesse, vivait dans une grotte sans confort. La rumeur fit de lui le fils du couple des étrangers qui avaient vu Dieu. Sa réputation de locale devint régionale puis mondiale. La montagne de Sourqua était « chaïan ». Ce mot intraduisible désignait un lieu intouchable où les esprits régnaient. L’ermite fut désigné comme étant « Crunchaïan », celui qui peut vivre avec les esprits. Cela avait deux conséquences. La première était que rien ne fut jamais construit sur la montagne de Sourqua qui resta ainsi un lieu sauvage. La deuxième conséquence est que pour voir le Crunchaïan, il fallait marcher longtemps. C’est lui qui fut à l’origine de la Confrérie.
Après cela, la base de données du circuit historique parlait d’un autre circuit plus spécifique des moines. S'il y avait des passages parlant du développement de la Confrérie, ils manquaient d’intérêts.
Ktanm nous connecta avec le site de la Confrérie, terme officiel pour désigner les moines d'Enkafout. C'était un site banal. On y trouvait quelques informations pour ceux qui voulait venir sous un bandeau qui proclamait : « Venez, cherchez ». Le seul élément notable était une case qui proposait une connexion avec un identifiant.
- Hum ! Right, la case comporte vingt signes. Cela ne va pas être évident à trouver si c'est un mot de passe.
- Je ne crois pas. Essaye « Arkabdas ».
Un écran blanc apparut avec ses simples mots : « Frappez, Entrez. »
Le temps de nous interroger sur la marche à suivre et l'écran d'accueil réapparut. En retapant le même nom, la même invite se retrouva à clignoter à l'écran. Au bout de quelques secondes, nous revenions à l'écran d'accueil. Nous fîmes différents essais de textes ou de suites de lettres aléatoires sans succès.
- Hum ! Right, je pense qu'ils ont un protocole qui doit être suivi mais qui n'est connu que d'eux seuls. Je vais chercher autre chose.
- Attends, Ktanm! Essaye « Tiakakner ».
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